Rénovation énergétique des bâtiments : l’Europe accélère

La guerre en Ukraine a provoqué une flambée des prix de l’énergie et mis en évidence la dépendance des européens aux énergies fossiles importées. Entre le plan RePowerEU et le paquet de mesures « Fit for 55 » l’Europe semble déterminée à passer à la vitesse supérieure. Explications.

« En décembre 2021, la Commission européenne a proposé une refonte de sa directive sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD). Largement débattue, celle-ci intègre le paquet « Fit for 55 » et pourrait être finalisée au printemps 2023. Son principal intérêt est d’apporter un référentiel commun en matière de performance énergétique minimale » explique Eva Brardinelli, en charge de la coordination des politiques européennes sur le bâtiment pour CAN Europe, un réseau d’ONG engagées dans la lutte contre le changement climatique. Désignées par leur acronyme anglais : « MEPS », ces normes de performance énergétique minimale,  concerneraient les bâtiments existants.

Une nouvelle vague de rénovation énergétique des bâtiments

« Elles visent à mettre en œuvre la stratégie énoncée à Bruxelles en 2020 qui entendait faire de la décennie actuelle celle de la “Vague de rénovation”, avec le doublement du taux de rénovation énergétique annuel d’ici 2030. Aujourd’hui on sent que la Commission a envie d’agir là où le gisement d’économie d’énergie est le plus important. À l’échelon européen entre 85 et 95% des bâtiments européens sont à rénover » analyse Camille Defard, chercheuse en politique européenne de l’énergie au sein du Centre Énergie de l’Institut Jacques Delors. Autre signe de bonne volonté européenne, la révision de sa directive sur l’efficacité énergétique (EE) qui fait également partie du même paquet de mesures. L’ambition affichée est désormais une réduction des consommations de 36% en 2030, soit un objectif réhaussé de 3,5% par rapport au précédent.

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Un accompagnement social

La proposition qui figure dans l’EPBD est que toutes les passoires énergétiques avec un classement DPE (diagnostic de performance énergétique) de niveau F ou G passent au niveau E à l’horizon 2030 pour le non-résidentiel, et 2033 pour le résidentiel. « L’idée est de faire d’une pierre deux coups : s’attaquer en même temps à la rénovation énergétique et à la lutte contre la précarité énergétique. L’intention est louable, mais les ambitions ne sont pas à la hauteur. Nous estimons qu’il faudrait viser une classe C à ces mêmes horizons, avec des mesures de soutien financier et technique pour une transition énergétique ambitieuse et inclusive » précise Eva Brardinelli. D’autant que l’objectif est celui d’un parc immobilier totalement décarboné à l’horizon 2050, avec une réduction des émissions de CO2 dans le bâtiment de 60% en 2030.

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Une stratégie globale et inclusive

« Nous voyons, avec les politiques menées en France depuis 20 ans, que procéder par saut de classe de DPE successives sans stratégie globale n’est pas une bonne idée. Il faut engager des rénovations profondes tout en mettant en place des mécanismes pour éviter le risque de « renoviction », une hausse brutale des loyers pour compenser les rénovations qui mettraient les plus fragiles en difficulté. Au vu de l’urgence climatique, sociale et de la crise d’approvisionnement en gaz, la classe C en 2030 serait un bon compromis  » complète Camille Defard, qui appelle de ses vœux une stratégie globale, avec un calendrier européen de la rénovation énergétique des bâtiments, qui serait un signal fort. Le Fonds social pour le climat proposé par la Commission et adopté en juin 2022 par le Parlement, avec un budget pouvant atteindre 72 milliards d’euros d’ici 2032, pourrait permettre d’accompagner les ménages vulnérables dans leurs rénovations.

Uniformiser pour accélérer

Mais les deux spécialistes observent la réticence des États membres face aux projets de directives. Une uniformisation des critères de performance énergétique, des échéances et des objectifs quantifiés en matière de rénovation énergétique sont perçus comme des atteintes à leurs prérogatives, même par les États les plus progressistes.  Pourtant en répondant à la fois à la crise climatique, à l’augmentation du coût de la vie, et la sécurité de nos approvisionnement énergétiques, la rénovation énergétique semble bien être la politique à suivre.

Avis d’expert avec Étienne Charbit, Responsable de projets efficacité énergétique au CLER-Réseau pour la transition énergétique

De nombreuses directives européennes relatives à la rénovation et à l’efficacité énergétique sont actuellement en cours de révision. La Présidence française du Conseil de l’Union européenne a été l’occasion pour nous l’occasion de pousser en avant ces sujets, notamment auprès du Gouvernement et des eurodéputés. Même si on estime que nous n’allons pas assez vite, la France reste un des pays les plus ambitieux en matière de rénovation énergétique à l’échelle européenne. Nos exigences élevées sur les bâtiments neufs nous classent, au côté du Danemark par exemple, parmi les pionniers européens, avec notre réglementation environnementale, la RE 2020, qui considère les émissions carbone du bâtiment sur la totalité de son cycle de vie. Au niveau européen, notre pays est relativement à la pointe de l’effort, alors même qu’il est en retard par rapport à ses propres ambitions. Nous travaillons à échanger des informations et des positions avec nos partenaires européens, tels que le réseau CAN Europe, car pour accélérer il est important que l’Europe fixe un cap précis, avec des échéances et des objectifs. Une dynamique européenne est indispensable pour harmoniser les efforts et les planifier à long terme, au-delà de 2033. Pour qu’ait lieu la Vague de rénovation énergétique des bâtiments que l’Europe appelle de ses vœux, nous devons au moins multiplier par trois le taux de rénovation énergétique des bâtiments, qui n’est aujourd’hui que de 1%