Quelles normes de performances énergétiques minimales en Europe ?

La Commission européenne prévoit dans le paquet énergie climat la révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments. Sarah Coupechoux, Responsable Europe pour la Fondation Abbé Pierre, met en regard les normes de performance énergétique minimales en vigueur en France et en Europe.

Quelles sont les normes de performance énergétique minimum actuellement mises en place en France ? Sont-elles suffisantes ?

Sarah Coupechoux : Les normes de performances énergétiques ont été introduites avec la Loi Climat de 2021 pour porter l’obligation de rénover les logements les plus énergivores : les classes G d’ici 2025, les classes F d’ici 2028 et les classes E d’ici 2034. 

A l’échelle européenne, nous pouvons saluer les mesures prises en France pour inscrire cette obligation dans la loi avec un calendrier précis et défini. En revanche, l’ambition est encore trop faible et ne permet pas d’atteindre les objectifs nécessaires pour répondre à l’urgence climatique et à l’intensification du phénomène de précarité énergétique. Pour exemple : la classe G concerne uniquement 1,7 millions de résidences principales contre environ 7 millions de passoires énergétiques. Les obligations concernent également uniquement les logements destinés à la location et interviendront au moment du renouvellement du bail. Cela démontre le temps bien trop long de la mise en œuvre. 

« Il faut uniformiser les diagnostics de performance énergétique au niveau européen. »

Quelle analyse faites-vous de la révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments ?

S.C : Nous pouvons tout de même nous réjouir de la proposition de la Commission européenne qui prend en compte la nécessité de porter des obligations de rénovation énergétique dans le paquet énergie climat “Fit for 55”. La directive vise les bâtiments les plus énergivores pour enclencher une progression rapide – rénovation des logements classés F d’ici 2030 et E d’ici 2033 – mais les ambitions sont encore une fois insuffisantes pour améliorer significativement la qualité des bâtiments. 

D’autres pays portent des obligations plus exigeantes. La difficulté de la Commission européenne est de tenir compte de la diversité des parcs dans tous les pays de l’Union européenne, avec des pays nordiques, par exemple, qui sont très avancés sur la question de la rénovation des bâtiments. Il faut uniformiser les diagnostics de performance énergétique au niveau européen. La question qui en découle est : où devons-nous placer le curseur pour définir ces classes communes qui vont avoir un impact direct sur les obligations de rénovation ? L’enjeu est de ne pas faire des compromis à la baisse. Lorsque les indicateurs sont trop bas, il suffit parfois de réaliser un simple geste pour passer à la classe supérieure sans pour autant avoir réalisé un réel effort de rénovation énergétique. 

Les récentes évolutions du décret décence en matière de performance énergétique minimale vous semblent-elles pertinentes à porter au niveau européen ?

La Fondation Abbé Pierre a largement porté et défendu l’intégration des normes minimales de performance énergétique dans le décret décence en France. Cette mesure devrait être portée au niveau européen pour améliorer les conditions d’habitat et sortir de l’ombre l’habitat indigne en Europe. Il n’y a aujourd’hui aucune norme homogénéisée au niveau européen. La question de la précarité énergétique qui entre dans le champ de l’énergie, compétence de l’Union européenne, est une porte d’entrée pour fixer des normes minimales sur l’habitat au niveau européen et lutter contre l’habitat indigne. 

Quel impact l’introduction d’un nouveau marché carbone ETS2 sur le chauffage et le transport risque d’avoir sur les ménages européens ?

S.C : Les ressources de ce nouveau marché carbone doivent venir alimenter un fond social pour le climat mais aussi rembourser la dette liée à la crise COVID-19. 

Le risque social est très partagé. Le prix du marché carbone va à un moment donné être répercuté sur les ménages européens et donc provoquer une hausse du prix des factures pour les ménages. Au sein de la Fondation Abbé Pierre ce constat nous inquiète car le contexte est aujourd’hui extrêmement tendu : hausse des prix des logements, augmentation des dépenses des ménages, flambée des prix de l’énergie…

L’Union européenne doit prendre en compte les ménages les plus vulnérables pour ne pas leur faire subir la législation nécessaire pour le climat. Il ne faut pas opposer les objectifs d’amélioration climatique et d’amélioration sociale. Le risque politique et de polarisation de la société est important. Nous en avons fait le constat en France avec le mouvement des gilets jaunes en réaction à la taxe sur les carburants. Avec le marché carbone sur le chauffage, on risque de voir apparaître un phénomène de paupérisation d’une partie de la population européenne, notamment dans les pays où les revenus sont les plus bas. 

Ce nouveau marché carbone risque également d’imposer une hausse des prix de l’énergie à une part très importante de locataires qui n’ont aucun pouvoir en matière de rénovation énergétique. 

Quelles sont les discussions autour du fond social pour le climat ?

S.C :  Le fond social pour le climat est le pendant du marché carbone ETS2. Il est destiné à compenser la hausse des prix de l’énergie liée à la création du marché carbone par des aides et financer la rénovation énergétique. Or nous n’avons aujourd’hui pas de visibilité sur l’efficacité du marché carbone comme levier d’incitation vers la rénovation énergétique et donc la diminution des émissions de carbone. Il peut avoir un impact sur des gestes à la rénovation mais pas nécessairement sur la rénovation globale et performante qui répond aujourd’hui aux besoins. Le fond est mal calibré. Les 144 milliards estimés ne pourront pas couvrir les besoins. De plus, le marché du carbone sera forcément volatile car il est impossible de prévoir les prix de l’énergie ce qui crée une grande instabilité pour les ménages.

Aujourd’hui encore 55 millions d’européens sont en situation de précarité énergétique, comment y remédier ? Comment mieux protéger les locataires en situation de précarité énergétique ?

S.C : La rénovation globale et performante est essentielle pour lutter contre la précarité énergétique. Il y a trois piliers pour faire avancer la rénovation de façon efficace et atteindre les objectifs : l’obligation de rénover, l’incitation fiscale (aides, subventions) et l’accompagnement. Pour cela il faut des moyens notamment pour former tous les acteurs de la rénovation en local, pour être au plus près des ménages, réaliser des diagnostics corrects et assurer un accompagnement aux travaux efficace et compétent. 

Protéger les locataires en situation de précarité énergétique est une vraie difficulté. Dans les standards de rénovation se pose alors la question de la sanction et du contrôle auprès des propriétaires bailleurs. Nous pouvons légitimement penser que les locataires ne vont pas faire la démarche d’un recours en justice quand l’obligation n’est pas respectée. Un autre point essentiel est de protéger le marché locatif privé de l’augmentation des prix déraisonnable des loyers pour répercuter les frais liés à la rénovation.

La Présidence française du Conseil de l’Union européenne peut-elle accélérer la lutte contre la précarité énergétique en Europe ?

S.C : Dans le paquet énergie climat, toutes les législations dépendent les unes des autres. L’enjeu est donc de peser sur nos gouvernements pour éviter les compromis à la baisse et alerter sur l’impact que les mesures pourraient avoir sur les ménages vulnérables. La Présidence française de l’Union européenne a un rôle majeur à jouer. La lutte contre la précarité énergétique fait partie de ses sujets prioritaires pour faire avancer les négociations autour du paquet énergie climat. Cette question du marché carbone ETS2 est centrale. La France s’est fixée comme objectif de trouver des compromis d’ici le mois de juin. Nous espérons que le gouvernement se montrera particulièrement attentif aux enjeux sociaux.

« Avec le marché carbone sur le chauffage, on risque de voir apparaître un phénomène de paupérisation d’une partie de la population européenne. »