Quelles solutions pour financer la rénovation performante ?

Dans sa publication annuelle Focus précarité énergétique, le réseau RAPPEL, co-animé par le CLER-Réseau pour la transition énergétique, donne la parole aux experts et aux acteurs de terrain. Dans un entretien, Vincent Legrand, Directeur général de Dorémi, revient sur les solutions pour financer la rénovation complète et performante des maisons.

Quels sont les enjeux de la rénovation énergétique complète et performante, notamment en matière de lutte contre la précarité énergétique ?

Vincent Legrand : Depuis la loi de Transition énergétique pour la croissance verte de 2015, le Code de l’Energie impose à la France de disposer d’un parc bâti rénové au niveau « Bâtiment Basse Consommation » à l’horizon 2050. Atteindre cet objectif implique la rénovation énergétique d’environ 900 000 logements par an d’ici 25 ans pour les conduire au moins à une étiquette B, or la quasi-totalité des pratiques intitulées «rénovations énergétiques » aujourd’hui ne contribuent pas à l’atteinte de cet objectif.

En France, environ 33% de la consommation énergétique française est utilisé pour le chauffage et donc dans la compensation des fuites de chaleur des bâtiments et les passoires énergétiques sont des logements qui fuient particulièrement par rapport à la moyenne du parc. On peut donc se demander jusqu’à quel point on veut colmater ces fuites : réaliser des petits morceaux de travaux n’apporte pas de réduction majeure de consommation énergétique et n’a donc pas de modèle économique viable, même avec un niveau élevé d’aides publiques. Une rénovation complète et performante veut dire faire barrage à l’ensemble des fuites sur un bâtiment via six postes de travaux : isolation des murs, toiture et sols, menuiseries extérieures, systèmes de chauffage et de ventilation performants. Sans oublier de traiter les interfaces entre ces postes : étanchéité à l’air, continuité de l’isolation, dimensionnement du système de chauffage, etc. C’est ce type d’approche coordonnée, réalisée en une seule fois, voire deux ou très exceptionnellement trois, qui permet d’atteindre la performance à terme et non additionner de simples travaux dans le temps.

Et l’enjeu de la rénovation performante est également social puisque 12 millions de personnes sont aujourd’hui en situation de précarité énergétique. Or l’augmentation du prix de l’énergie risque de faire basculer progressivement et inéluctablement des personnes déjà en difficulté dans une précarité plus grande encore. C’est une véritable bombe à retardement sociale et nous souhaitons attirer l’attention sur l’enjeu de traiter le problème de manière globale, autant du point de vue climatique et énergétique que social, en atteignant réellement et rapidement les objectifs fixés. Et pour cela il faut questionner la manière dont on structure les financements, les accompagnements et les offres de travaux.

Les aides financières sont-elles aujourd’hui calibrées pour encourager les rénovations performantes ?

V.L. : Depuis 10 ou 15 ans, les aides publiques de l’Etat à la rénovation du parc résidentiel est d’environ 4,5 milliards d’euros par an, et depuis toujours elles sont utilisées prioritairement pour les changements de fenêtres ou de chaudière. Or réaliser ce type de travaux n’est pas synonyme de rénovation énergétique car il s’agit de travaux de maintenance ou d’entretien : on ne change pas forcément une chaudière parce qu’on veut faire une rénovation énergétique. On la change parce qu’elle est fatiguée sans avoir une approche globale de ce que pourrait être une rénovation performante du bâtiment.

Le saupoudrage des aides aboutit donc à une dispersion des travaux réalisés lors des rénovations. Et compte tenu de l’évolution à la hausse du coût de l’énergie, le risque est grand pour qu’un ménage qui réalise 25 ou 30% d’économie de chauffage se retrouve d’ici une dizaine d’années avec la même facture énergétique qu’avant travaux. Le ménage retombe à nouveau dans la précarité et il sera alors plus difficile de réinjecter des dizaines de milliers d’euros pour l’en sortir.

Au final, il n’existe pas aujourd’hui de mécanisme financier qui permette à un ménage de financer simplement sa rénovation performante. Il est obligé de faire face à la complexité des aides actuelles : il est au moins aussi compliqué de réaliser le montage financier d’une opération que le montage technique (gérer les six postes de travaux, les interfaces, etc.). C’est notamment pour cette raison que la rénovation performante n’émerge pas aujourd’hui, et a fortiori pour les ménages en précarité. L’Institut négaWatt alerte sur ce point, l’idée n’étant pas d’inciter à des rénovations « parfaites » mais bien des rénovations « légales », au vu du Code de l’énergie et des objectifs nationaux.

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Quelles solutions peuvent être déployées, notamment pour couvrir le reste à charge des ménages lors d’une rénovation performante ?

V.L : Nous avons formulé plusieurs propositions de mécanisme financier que l’on a regroupé sous le terme d’Offre Unique de Financement (« OUF »), qui englobe par ailleurs les aspects techniques et d’accompagnent liés à la rénovation performante. Plutôt que de parler de « reste à charge » nous parlons « d’équilibre en trésorerie ». Nos différentes études ont démontré qu’en mobilisant les aides actuelles (MaPrimeRénov’, CEE, aides locales, éco-prêt à taux zéro, prêts privés complémentaires), la rénovation performante d’une passoire énergétique permet de transformer une facture de chauffage annuelle d’un montant de 2 à 3 000 euros, selon le type d’énergie utilisé, à une facture de 3 à 400 euros, l’ordre de grandeur étant une division par 4 à 8 des factures de chauffage. Il est donc possible de dégager pour le ménage disons 2 000 euros de capacité à rembourser un prêt, ce qui correspond à un prêt à taux zéro de 30 000 € sur 15 ans pouvant couvrir le reste à charge significatif dans le cadre de la rénovation performante du fait de l’ampleur des travaux à effectuer.

Un éco-prêt à taux zéro « rénovation performante » permettrait au ménage de ne pas payer plus après les travaux, voire moins en gagnant 50 ou 100 € de pouvoir d’achat dès la première année. Dès lors, l’enjeu est d’augmenter les montants et les durées de prêt. L’amortissement global de la rénovation performante est dans tous les cas de plus de 25 ans. Or aujourd’hui les banques prêtent la plupart du temps sur une quinzaine d’années au plus, c’est en train de changer avec l’éco-PTZ dont le plafond passe à 50 000 € sur 20 ans mais cela correspond à 2 500 € de mensualités annuelles, soit les économies espérées d’une rénovation performante des passoires les plus énergivores ou en tout cas utilisant les énergies les plus coûteuses. En passant à une offre de financement sur 25 ans, on pourrait toucher les autres logements tout en parvenant à un équilibre en trésorerie, avant tout apport du ménage ou aide directe de l’Etat.

De quelle manière l’équilibre en trésorerie peut-il s’appliquer aux ménages modestes et très modestes ?

V.L. : Pour les ménages aux faibles ressources, la question est de calibrer un mécanisme financier qui, à leurs yeux, leur permette de mettre en place la rénovation performante avec un petit gain de pouvoir d’achat (quelques dizaine d’euros par mois) et sans trop de complexité, à savoir un dossier unique de financement, une avance de trésorerie et un démarrage de remboursement du prêt à la fin du chantier. L’intérêt est de créer un équilibre en trésorerie légèrement favorable au ménage avec des mensualités adaptées à sa capacité de remboursement. D’où notre proposition de prendre en compte les économies d’énergie via un prêt bancaire privé où la facture de chauffage se transforme en mensualité, ce qui permet une resolvabisation du ménage, et d’augmenter la durée des prêts pour réduire les mensualités et ainsi faciliter l’atteinte de l’équilibre en trésorerie.

Quant aux ménages les plus en marge des mécanismes actuels de financement (âgés et/ou très modestes), le Prêt avance rénovation est une  avancée mais celui-ci pourrait intégrer un remboursement anticipé via une mensualité appuyée sur l’équilibre en trésorerie, même si leurs factures de chauffage sont faibles. Cela permettrait au ménage de commencer à rembourser son prêt grâce aux économies de chauffage et de récupérer tout ou partie de son patrimoine lorsque le bien est vendu, contrairement au Prêt avance rénovation qui est remboursé par le produit de la vente. Et de manière transverse, dans les cas pour lesquels il est difficile d’atteindre l’équilibre en trésorerie (ménages de plus de 60 ans, endettés, propriétaires bailleurs, etc.), « l’attachement à la pierre » du prêt peut aussi être considéré. En corrélant la dette non plus à l’occupant mais au bâtiment (si le ménage quitte le logement, le prêt est transmis au prochain usager qui paiera la mensualité au lieu de payer du chauffage ou aura la possibilité de solder le prêt en payant ainsi la valorisation patrimoniale du bien), la durée d’un prêt peut s’allonger de manière significative, jusqu’à 30 ans par exemple.

Dans cette approche, il faut distinguer les ménages « précaires » ou « en tension », qui parviennent encore à régler leur facture et à se chauffer à un niveau suffisant, et les ménages en « grande précarité » qui se privent ou sont en incapacité de payer leurs factures. Cette différence est fondamentale notamment du point de vue du financement : on ne traitera pas du tout de la même façon les deux typologies.

Au final l’équilibre en trésorerie s’applique de façon systématique à tous les ménages en capacité de payer leurs factures de chauffage : les ménages aisés et intermédiaires, ainsi que la grande majorité des modestes et très modestes qui ne sont pas en grande précarité.

Pour les ménages en grande précarité, il faut des dispositifs dédiés : soit un allongement encore plus important de la durée des prêts mais cela veut dire endettement, soit des fonds sociaux spécifiques en plus des aides actuelles. La question n’est alors plus énergétique mais sociale. Et on pourra mobiliser des fonds plus massivement pour ces personnes à partir du moment où on stabilise un mécanisme destiné à l’ensemble des autres ménages. Nous avons montré que les 2 milliards d’euros du plan de relance de 2020 permettent de financer 50 000 rénovations complètes et performantes en passant uniquement par des subventions, mais plus de 600 000 rénovations complètes et performantes en passant par l’équilibre en trésorerie, ce qui est bien plus proche des rythmes qu’il nous faut pour atteindre l’objectif de performance du parc à 2050.

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