« Imaginer les reconversions professionnelles localement et collectivement »

Pour le Secrétaire national de la CFDT, responsable du développement durable et des politiques industrielles, la transition écologique représente une opportunité de refonder profondément le marché de l’emploi au profit des salariés.

Envisagez-vous la transition écologique comme un tremplin pour l’emploi en France ?

La transition énergétique sera pourvoyeuse de nouveaux emplois, mais dans le même temps, d’autres vont disparaître…Le Plan de programmation des emplois et des compétences (rapport Parisot) du gouvernement paru en février 2019 parle de 300 000 emplois en moyenne créés d’ici 2050, mais indique également que ces estimations doivent être « fiabilisées ». Au-delà de ces questions de volumétrie, le véritable enjeu est d’être en capacité d’organiser les transitions professionnelles des salariés concernés par les filières et les activités déclinantes, dans les centrales à charbon ou les usines de production d’automobiles.

Ces deux secteurs – l’automobile et la production d’énergie fossile – sont-ils les plus impactés ?

Oui, les entreprises profitent déjà des départs à la retraite pour baisser les effectifs. Les métiers relativement qualifiés, directement en lien avec les motorisations thermiques, vont disparaître. Et pas uniquement chez les constructeurs automobiles, mais également chez leurs sous-traitants de premier ou deuxième niveau. Comment une entreprise qui est amenée à disparaître se met-elle en mouvement pour se reconvertir, produire autre chose ou autrement, afin d’être en phase avec la transition écologique ? Selon les contextes locaux, il faut transformer l’emploi au sein de l’outil industriel – c’est le cas de l’automobile qui s’oriente vers l’électrique, l’hybride ou l’hydrogène dans une moindre mesure – ou mettre sur la table des moyens suffisants pour permettre aux salariés de se convertir.

« On observe que les entreprises et les métiers de la transition écologique sont attractifs. C’est bon signe, mais cela doit se traduire par de bonnes conditions de travail. »

Ces salariés vont-ils se reconvertir aux nouveaux emplois de la transition écologique ?

Quand cela est possible, oui, vers les secteurs qui ont de l’avenir. C’est le cas de l’économie circulaire ou de l’agriculture par exemple. Une agriculture plus saine embauchera des personnes aux niveaux de qualification variables, pour désherber, accompagner les agriculteurs en reconversion, trouver des substituts naturels aux pesticides… On observe déjà que les entreprises et les métiers de la transition écologique sont attractifs. C’est bon signe, mais cela doit également se traduire par de bonnes conditions de travail. Sur ce point nous restons vigilants.

La transition écologique peut-elle améliorer ces conditions de travail ?

Nous constatons actuellement que le marché du travail se polarise. Cela signifie que les emplois à moindre valeur ajoutée et peu qualifiés augmentent, et que montent simultanément en puissance ceux qui conçoivent les systèmes. Parallèlement, les emplois intermédiaires dont la mission fondamentalement est de coordonner diminuent : typiquement les métiers du secrétariat impactés par la numérisation. Comment peut-on envisager une évolution de carrière, s’il n’y a plus d’emplois intermédiaires, moyennement qualifiés ? La transition écologique peut être une opportunité de contrer ce phénomène, en réorganisant le travail, en pensant des continuums de carrière et en luttant contre la déqualification. Il faut dès maintenant changer de raisonnement : avec l’économie circulaire, l’économie collaborative, l’économie de la fonctionnalité, les modèles économiques évoluent profondément. Les emplois ne seront peut-être plus en CDI, mais des auto-entreprises vont naître, comme des initiatives locales de taille modeste. Sur cette question statutaire et contractuelle, Il nous faut à la fois limiter les abus dans le recours au contrats atypiques et lutter contre l’exploitation des plus fragiles. Mais il nous faut aussi encadrer et sécuriser les travailleurs qui souhaitent changer de statut et exercer une activité hors des entreprises classiques.

Quel est rôle de l’Etat et des institutions pour accompagner ces évolutions ?

L’Etat définit la politique industrielle de la France, investit, et ses décisions engendrent des effets de leviers. Mais l’époque où il fabriquait des grands leaders au niveau national ou européen est révolue ! Les transitions professionnelles ont aujourd’hui lieu à l’échelle des Régions. Ces dernières disposent du pouvoir économique. Du point de vue de l’emploi aussi, il faut donc parfaire la décentralisation. La transition écologique, grâce aussi aux innovations qu’elle engendre, est de fait moins centralisée, plus foisonnante. C’est le plan territorial qui est aujourd’hui pertinent mais il nous paraît difficile de s’en emparer, et de généraliser les initiatives formidables qui sont parfois à l’oeuvre. C’est chaque fois localement et collectivement qu’il faut imaginer les conversions.

Avez-vous des exemples de reconversion réussie ?

L’usine Bosch à Vénissieux est un bon exemple : un collectif réunissant les patrons et les syndicats s’est créé pour réfléchir aux reconversions possibles. Une cartographie des compétences existantes dans l’entreprise a été réalisée. Au final, l’usine a cessé la production de pompes à injection pour fabriquer des panneaux solaires photovoltaïques – les salariés étaient en mesure de s’adapter ce nouveau process, à l’aide d’une formation de courte durée à caractère technique. Ces choix déterminants pour l’avenir de l’entreprise ne sont pas restés entre les mains des patrons uniquement ! Les syndicats ont eu leur rôle à jouer, grâce au respect de la démocratie interne à l’entreprise. De façon générale, les représentants du personnel ne devraient pas être uniquement consultés : ils sont partie prenante du processus de reconversion pour que celui-ci soit porté collectivement.

Cette concertation peut-elle également avoir lieu à l’échelle d’un territoire ?

Oui. Les contrats de transition écologique ont cette dimension territoriale et c’est très intéressant quand ça marche. Mais la coopération locale autour d’un projet de développement local, ça ne va pas de soi partout en France ! C’est parfois très compliqué : à Fessenheim par exemple, nous avons dû taper du poing sur la table pour nous exprimer dans les instances de gouvernance. S’il faut jouer des coudes pour que les salariés participent à cette délibération, il y a un problème. Leur présence devrait être systématique.

Voir le site : www.cdft.fr

Aller + loin avec le Centre de ressources en ligne du Réseau pour la transition énergétique

Sans prétendre à l’exhaustivité, cette bibliographie vous présente une sélection de ressources documentaires pour mieux appréhender les grands enjeux de la formation et des emplois de la transition énergétique en France. Juillet 2019.

Voir la transitiothèque Formation et Emploi
Publication

Cet article est extrait de Notre énergie – n°123

Quand une usine ferme, c’est tout un territoire qui trinque. Des emplois disparaissent, des commerces et des écoles ferment, et l’identité même d’un lieu est altérée. Pourtant, face à la perte de vitesse inéluctable des industries les plus polluantes, les acteurs de terrain se mobilisent. Ici et là, ils font dialoguer activités économiques, insertion sociale et formations professionnelles, cherchent des solutions adaptées et vertueuses. Une vraie résilience à laquelle aspirent les citoyen.nes eux-mêmes qu’ils soient salarié.es en recherche d’emploi ou en reconversion. Avec eux, partageons nos expériences de terrain, et relevons ce grand défi des transitions professionnelles !

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