L’économie de la décroissance ou comment prospérer sans croissance ?

La croissance économique est-elle compatible avec la préservation des ressources planétaires et l’atténuation du changement climatique ? Pour l’économiste Timothée Parrique, la réponse est non. Entretien.

Avec la crise énergétique et climatique, l’objectif de réduction de nos consommations énergétiques est de plus en plus partagé. Mais peut-on y parvenir sans changer de modèle économique ?

Timothée Parrique : Non, notre système économique actuel – le capitalisme – est organisé autour d’un objectif prioritaire de croissance économique. Difficile de consommer moins dans une économie qui maximise le toujours plus. On sait qu’il faudrait moins utiliser la voiture et l’avion mais la publicité nous incite à faire exactement le contraire. On sait qu’il faudrait abandonner les nouveaux projets fossiles mais les entreprises à but lucratif font la sourde oreille. Même le gouvernement, qui en théorie devrait promouvoir l’intérêt collectif, reste enfermé dans une logique absurde de maximisation du PIB. Quand je parle d’une « économie de la décroissance », je fais référence à un changement de paradigme économique, d’un système surdimensionné obsédé par l’accumulation monétaire à une économie à taille humaine centrée sur la santé et le bien-être.

Comment la décroissance peut-elle être le socle d’une société prospère ?

T.P. : La véritable prospérité, ce n’est pas l’empilement des billets de banque, mais la pleine santé, l’accès aux biens et services essentiels, la participation démocratique, le vivre-ensemble convivial, et la résilience des écosystèmes sans lesquels aucune société ne pourrait véritablement fonctionner. Au lieu de s’évertuer à faire monter le thermomètre du PIB, nous devons développer un système qui puisse en effet « prospérer sans croissance », c’est-à-dire découpler le bien-être de l’empreinte écologique et satisfaire les besoins quotidiens des sociétés humaines de la manière la plus parcimonieuse possible.

Nous n’avons pas le choix ! Aujourd’hui, il est impossible de maintenir les niveaux de production/consommation des pays riches (et encore moins les faire croître) sans exploser les limites planétaires. De la même manière qu’un organe sain ne survit pas longtemps dans un corps mourant, une économie ne pourra se maintenir bien longtemps dans une biosphère qui s’effondre. Ce sera donc décroissance choisie aujourd’hui ou effondrement subi demain.

Les plus précaires subissent déjà les effets du réchauffement climatique, dans leur logement mal isolé par exemple. Comment leur demander en plus de décroître ?

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T.P. : La sobriété est une question de partage. Au niveau mondial, les 10 % les plus riches (qui ont un revenu mensuel supérieur à 3122 euros, ou un patrimoine au-delà de 126 057 euros) sont responsables de 50 % des émissions de CO2. Aux États-Unis, les 30 % des ménages les plus fortunés causent 50 % des émissions nationales. Pour être efficace et socialement acceptable, les efforts de sobriété doivent être proportionnels aux niveaux de consommation. Ainsi, on ne peut pas demander à ceux qui, en réalité, consomment peu, de consommer moins.

Comment engager ce changement de modèle, sans créer plus d’inégalités ?

T.P. : D’abord, il faut cesser de penser que la « croissance verte » est une véritable solution à la crise écologique. Nous devrions plutôt muscler nos capacités démocratiques pour faire des choix collectifs. Comment s’organiser socialement pour nous permettre de moins consommer ? De quoi avons-nous vraiment besoin ? Comment produire moins ? Quels modèles d’entreprises, quelles cultures citoyennes et quelles politiques publiques permettraient d’accompagner ce grand ralentissement de l’économie dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être ? Je ne cesse de le répéter : soit nous organisons cette transition maintenant pour inventer un vivre-ensemble sobre et convivial, soit il s’imposera à nous sans préparation, sûrement dans le chaos, l’injustice, et la violence.

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