Un modèle industriel et financier « remis en question » par la transition énergétique

La transition écologique nous offre l'opportunité d'imaginer de nouveaux modèles économiques qui prendraient en compte les enjeux sociaux et environnementaux auxquels sont confrontés les territoires et qui renforceraient la coopération entre tous les acteurs. « Moins d'énergie, plus de confort, plus de performance d’usage » : le chercheur Christian su Tertre, directeur scientifique du laboratoire ATEMIS, décrit les bienfaits d'une "économie de la fonctionnalité et de la coopération".

Existe-t-il un modèle économique de la transition énergétique ?


Résultat de recherche d'images pour "dutertre christian"La transition écologique nous oblige à promouvoir un nouveau modèle économique qui engage tous les acteurs. Actuellement, deux questionnements s’articulent : la dynamique de développement des territoires confrontés à des enjeux socio-environnementaux et démocratiques, et le modèle économique des acteurs entrepreneuriaux du système énergétique. Pour ces derniers, l’objectif purement financier qui consiste à obtenir un revenu sur la base de la vente d’un volume croissant d’énergie, le répartir ou le réinvestir est aujourd’hui remis en question. Il doit évoluer pour prendre en compte plusieurs autres paramètres, en particulier la « sphère fonctionnelle » dans laquelle l’entreprise énergétique s’inscrit, c’est-à-dire, les nouvelles façons de se déplacer ou de se chauffer pour les ménages en lien avec les grands enjeux énergétiques d’aujourd’hui, notamment, les énergies renouvelables et la lutte contre la précarité énergétique ; les nouvelles façons d’utiliser l’énergie par les entreprises clientes. Les énergies renouvelables comme les services associés à l’énergie évoluent et poussent à remettre en question le modèle économique des entreprises énergétiques, ainsi que leur gouvernance, leurs méthodes de travail, leurs ressources… En face, le territoire voit, aussi, son modèle de développement remis en cause !

Quel est le nouveau rôle des collectivités locales ?

On ne peut pas envisager une transition énergétique sans envisager un nouveau rapport des ménages et des entreprises consommatrices d’énergie à la sobriété énergétique. Or, cela implique de nouveaux usages de l’énergie forcément « territorialisés », qui dépendent de la situation géographique du territoire et de ses conditions de développement. Pour les construire, la collectivité a un rôle fondamental dans ce que j’appelle « la démocratie sociétale », c’est-à-dire la capacité de mettre les acteurs en mouvement dans une perspective coopérative à visée économique. Cela nécessite un débat démocratique pour établir un projet politique de territoire organisé soit par la collectivité, soit par un système d’acteurs locaux incluant… les entreprises elles-mêmes. C’est ce qu’illustre la dynamique des coopératives des Fermes de Figeac dans le Lot ou ERE43 en Haute-Loire.

« Aujourd’hui, le système de gouvernance reste centralisé et sous domination d’une logique actionnariale très fermée »

En s’engageant dans une logique de réduction des dépenses énergétiques, la collectivité dégage des marges financières. Cet argent, où va-t-il ? Sera-t-il collectivisé ou au contraire partagé avec les acteurs privés engagés dans la transition ? Dans les territoires, il est possible d’impliquer les citoyens dans ce débat, pour d’une part lancer la dynamique de sobriété et d’autre part créer une valeur « sociabilisée » et accélérer la transition. Cette perspective de décroissance de la consommation d’énergie, mais de développement de sa pertinence d’usage, que je dénomme l’effet ciseau (moins de biens, plus de services) offre une alternative à l’installation de nouvelles taxes qui, sans changer les modes de vie et les modes de travail, impacte trop fortement les plus démunis. C’est une autre voie pour accélérer la transition face aux enjeux écologiques. C’est une forme de réponse nouvelle aux attentes des gilets jaunes qui sont l’expression du rejet de ces taxes. Sur la base d’un projet commun de territoire, un accord politique est possible. Cela change tout.

Entreprises et collectivités pourraient donc travailler main dans la main ?

Cette nouvelle articulation pousse les entreprises à entrer dans un nouvel écosystème et de nouvelles formes d’alliance. Elle fait bouger leur périmètre d’action et les formes de relation entre acteurs vers plus de coopération dans le travail. Cette coopération est une création de valeur à part entière, qui permet d’affaiblir la contrainte monétaire en mettant à distance la concurrence. Moins d’énergie, plus de confort ! Moins de ressources matérielles – voyez tout le gâchis des échanges marchands ! – et plus de ressources immatérielles comme la participation citoyenne, les compétences, la confiance, la convivialité, la pertinence de l’usage des biens ! C’est l’objectif de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération.

Quels sont les plus gros obstacles que vous observez ?

Il est clair que la transition énergétique marque une rupture dans un modèle énergétique industriel classique. Nous sommes habitués aux logiques industrielles des entreprises énergétiques qui se focalisent sur la production d’énergie sans se préoccuper des conditions d’usage de cette énergie. Plus on consomme, plus le revenu associé au volume de l’énergie produit et vendu augmente… Ce modèle fait la part belle aux enjeux technologiques, les corps d’ingénieurs sont dans leur « zone de confort », et finalement, le système de gouvernance reste centralisé et sous domination d’une logique actionnariale très fermée.

« L’avenir est radieux, le chemin est sinueux », disait un homme politique… Organiser la coopération demande du temps et des sacrifices. Les expérimentations concrètes sont en cours, par exemple à Loos-en-Gohelle, et un nombre de plus en plus important d’acteurs s’y engagent. Elles permettront de faire évoluer les formes de conscience et de pensées. Dans certains cas, on pourrait imaginer un échange d’obtenir de l’Etat des systèmes dérogatoires, trouver des solutions collectives pour contourner les obstacles rencontrés localement, notamment sur le plan réglementaire et contractuel. C’est ce que prouve admirablement l’expérience des « territoires zéro chômeurs ».

ATEMIS est un laboratoire d’intervention et de recherche qui regroupe une quinzaine d’intervenants-chercheurs sur une base pluridisciplinaire (économie, ergonomie, psycho-dynamique du travail, gestion d’entreprise, sociologie, aménagement et développement territorial). Au cœur de son projet : la volonté de réintroduire la question du travail face aux mutations sociétales, aux évolutions que connaissent les entreprises et les organismes publics et parapublics, et aux transformations des compétences des institutions en particulier territoriales.

Voir le site internet www.atemis-lir.fr

La facture énergétique, qu’est-ce que c’est ?

C’est la différence annuelle entre la dépense énergétique territoriale (l’ensemble des achats d’énergie consommée dans les secteurs résidentiel, tertiaire, transports, industrie et agriculture sur le territoire) et les ventes des énergies renouvelables produites sur le territoire.

Publication

Cet article est extrait du CLER Infos n°122

Ressources financières, emplois, mieux-être et solidarité sont autant de bénéfices à saisir dans la course vers l’autonomie énergétique. Grâce à des projets d’énergie renouvelable et de maîtrise de l’énergie adaptés à leurs spécificités, nos territoires se développent et s’enrichissent. Chiffres à l’appui, ce dossier du CLER Infos décrit ces nouvelles « valeurs locales », et donne la parole à celles et ceux qui écrivent à plusieurs mains leur avenir 100 % EnR ! Comment se saisir des opportunités offertes par ce changement de modèle économique et de société ? Le chiffrage de retombées socio-économiques permet-il de convaincre ? Quels obstacles faut-il lever pour accélérer le mouvement ? Voici nos premiers éléments de réponse, en attendant la sortie prochaine d’un rapport approfondi estampillé TEPOS.

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