Lutte contre la précarité énergétique : où en sommes-nous ?

Alors que la précarité énergétique s'intensifie, Marie Moisan, coordinatrice du programme Slime, revient sur la lutte qui s'est organisée grâce à l'action des acteurs de terrain et appelle au sursaut des pouvoirs publics pour allouer les moyens nécessaires.

À quel moment la lutte contre la précarité énergétique est-elle devenue un objet de politique publique ?

Marie Moisan : La précarité énergétique a émergé, en tant qu’objet de politique publique, de la rencontre des travailleurs sociaux, des spécialistes de la maîtrise de l’énergie et des professionnels de l’amélioration des logements, dans le contexte d’une montée inexorable des prix de l’énergie et de l’évolution des dispositifs d’aide au paiement des factures. Tout est venu du terrain. Les premières expérimentations locales de lutte contre la précarité énergétique ont bénéficié, dès 2007 de l’impulsion donnée par les programmes de recherche-action menés par l’ADEME avec le PUCA et l’ANAH dès 2007. Le Grenelle de l’Environnement a été une étape importante : en 2008, le réseau Cler, les amis de la Terre, la Fondation Abbé Pierre, les Compagnons Bâtisseurs, la Fédération Habitat et Développement, la Fédération des PACT, la SFU et de nombreuses structures locales adressaient une lettre ouverte aux parlementaires, à l’occasion de l’examen du projet de loi Grenelle 1, pour demander la mise en place d’un plan national de lutte contre la précarité énergétique assorti notamment d’une définition précise du phénomène et de la création d’un observatoire de la précarité énergétique. J’ai rejoint le réseau Cler en 2009 au moment de la publication du rapport Pelletier, qui a transformé ces demandes en propositions suivies d’effet.  Le 10 juillet 2010, la loi Grenelle 2 donnait une définition légale à la précarité énergétique et un an plus tard, en 2011, l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) voyait le jour.

Quelles avancées à permis le rapport Pelletier ?

Marie Moisan : Nous sommes réjouis de la mise en œuvre au fil du temps d’une grande partie des propositions du rapport Pelletier, mais si elle s’est avérée trop timide, et reste régulièrement remise en cause et menacée. Ainsi l’ONPE est peu alimenté en statistiques : la dernière enquête nationale sur le logement remonte à 2020 et ses résultats n’ont toujours pas été exploités. Le montant du chèque énergie n’a pas évolué depuis sa création. La suppression de la taxe d’habitation qui permettait d’identifier ses bénéficiaires fragilise la poursuite du dispositif. La prise en compte progressive de critères de performance énergétique dans la qualification de la décence d’un logement, qui doit concerner tous les logements étiquetés G au premier janvier 2025, fait encore l’objet de débats et pourrait être reportée… Enfin les départements, même s’ils sont très mobilisés — ils représentent 50% des collectivités qui mettent en œuvre le programme Slime —, ne disposent pas de financements suffisants alors qu’ils sont chefs de file en matière de lutte contre la précarité énergétique.

« Les professionnels de l’accompagnement sont pris en étau entre les ménages en difficulté et des décisions politiques qui changent constamment. »

Marie MoisanCoordinatrice du programme Slime

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Marie Moisan : Non seulement la précarité énergétique ne recule pas significativement, mais la part des ménages déclarant s’imposer des restrictions de chauffage pour des raisons financières ne cesse d’augmenter. Le manque de stabilité budgétaire, de volonté politique claire et d’objectifs chiffrés se traduit sur le terrain par une véritable souffrance des professionnels de l’accompagnement qui sont pris en étau entre les ménages en difficulté et des décisions politiques qui changent constamment. La généralisation de la rénovation performante des logements les plus énergivores doit être vue comme un investissement et non une dépense sèche. Le coût de l’inaction sera bien plus élevé. A ne pas s’attaquer au problème, on prépare une bombe sociale…