La réforme du coefficient d’énergie primaire a trop d’effets pervers

Le Gouvernement veut faire passer une réforme du coefficient d’énergie primaire impactant le diagnostic de performance énergétique (DPE). Ce changement aurait des effets néfastes sur des millions de ménages et mettrait à mal toute politique ambitieuse de rénovation énergétique. Mahel Gonsalez-Mortreux, chargé de plaidoyer à l’Association négaWatt, décrypte la situation.

Tout part de l’énergie primaire et de l’énergie finale. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’elles représentent ?

Mahel Gonsalez-Mortreux : L’énergie finale, c’est l’énergie livrée dans un logement, que ce soit du gaz, de l’électricité ou du fioul. L’énergie primaire donne la quantité d’énergie à la source de cette livraison : du gaz, de l’uranium, du vent, du soleil, ou du pétrole. Quand on fait le rapport des deux, on obtient un coefficient de conversion qui est de 1 pour le gaz, le fioul et aussi pour le bois car ils sont directement utilisables. Pour l’électricité, les transformations sont différentes selon le type de centrale : le coefficient est proche de 1 pour l’éolien et le solaire (l’électricité est produite directement) mais il vaut entre 2 et 3 pour les centrales thermiques au gaz ou les centrales nucléaires. Plus on est proche de 1, plus  l’efficacité est bonne.

Que veut faire le Gouvernement avec ce coefficient ?

M G.-M. : Le facteur de conversion de l’énergie finale en énergie primaire de l’électricité – qu’on appelle aussi coefficient d’énergie primaire – est la moyenne des coefficients de tous les moyens du parc de production d’électricité. Il est le reflet d’une donnée physique, et sa valeur réelle en France est environ de 2,5. Mais il avait déjà été fixé à 2,3 par les pouvoirs publics et le Gouvernement prévoit de le descendre artificiellement à 1,9 à partir de janvier 2026. Ainsi, il veut faire croire que le parc est plus performant qu’il ne l’est réellement.

«Les effets pervers de cette réforme pénaliseraient les ménages comme les artisans.»

Mahel Gosalez-Montreuxchargé de plaidoyer, association négaWatt

Comment ce coefficient influe sur le DPE ?

M G.-M. : Depuis 2021, l’étiquette du DPE repose sur le calcul del’énergie primaire nécessaire à un logement et de ses émissions de gaz à effet de serre. L’énergie primaire est justement calculée en multipliant l’énergie finale par le coefficient de conversion. La double échelle du DPE a mis sur un pied d’égalité le gaz et l’électricité, le premier étant pénalisé par ses émissions de CO2et la seconde handicapée par son mauvais coefficient d’énergie primaire. En baissant ce dernier, le Gouvernement veut avantager l’électricité dans les logements, sous couvert de décarbonation. 

Quelles conséquences craignez-vous ?

M. G.-M. : Avec plusieurs associations, dont le réseau Cler, nous avons publié une lettre ouverte au Premier Ministre dans laquelle nous identifions trois conséquences liées au changement de coefficient de l’énergie primaire. La première est que les étiquettes DPE des logements chauffés à l’électricité seraient artificiellement améliorées, créant un effet de trompe-l’œil. Propriétaires et locataires croiraient avoir un certain niveau de consommation d’énergie alors qu’il serait en fait plus élevé, tout comme leurs factures. Cela risquerait aussi de fragiliser la confiance dans le DPE. La deuxième conséquence porte sur les passoires thermiques chauffées à l’électricité : dans ces logements où vivent les plus précaires, la fausse amélioration du DPE enlèverait toute incitation ou obligation de rénovation. On estime qu’environ 1,2 million de logements seraient ainsi sorti artificiellement des classes F et G. La dernière conséquence concerne le marché des pompes à chaleur (PAC). Comme il serait plus facile d’atteindre une bonne étiquette de DPE avec un simple convecteur électrique, moins cher, on estime que le nombre de PAC à installer d’ici 2030 se réduirait de 1,7 million d’unités.

Pensez-vous que cette réforme soit évitable ?

M G.-M. : Tout doit être fait pour qu’elle soit évitée ! L’électrification du bâtiment est nécessaire, à condition qu’elle s’insère dans le cadre d’une politique ambitieuse de rénovation,qui réduirait les consommations d’énergie, et qui serait plus efficace pour décarboner le parc bâti, faire baisser les factures des ménages et créer de l’emploi. Élus et fédérations professionnelles du bâtiment ont tout intérêt à ce que l’arrêté prévu par le Gouvernement ne soit pas publié.Le match n’est pas tellement entre le gaz et l’électricité, c’est l’avenir de la politique de rénovation qui se joue actuellement.