Rénovation énergétique : l’Europe dessine sa feuille de route
Le parlement européen vient de voter ce mardi 14 mars la révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments. Elle s’appuie sur des normes minimales de performance énergétique (MEPS) pour déterminer le niveau de rénovation que devront atteindre différents types de bâtiments d’ici 2030 et 2033.
Les analyses croisées de deux experts, Adeline Rochet, du think tank européen E3G et Etienne Charbit, du CLER-Réseau pour la transition énergétique.
Quelles sont les normes de performances énergétiques minimales proposées par la Commission européenne et le Parlement européen ?
Adeline Rochet : À l’instar des diagnostics de performance énergétique (DPE), les normes minimales de performance énergétique (MEPS) utilisent un système de classe énergétique qui va de G, le moins performant, à A, le plus performant. Là où les choses se compliquent c’est que si dans certains États européens les DPE s’appuient sur des valeurs absolues pour mesurer une performance en kWh/m2, l’Union Européenne, et en particulier son Conseil, préfère des valeurs relatives : ainsi la classe G représente les 15% des bâtiments les moins performants d’un pays, la classe F les 15% suivants et ainsi de suite. Ce système ne permet pas de comparer la consommation énergétique de ces parcs, ni leurs émissions de CO2. Cela posé, il faut reconnaitre que la proposition faite le 9 février 2023 par la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie (ITRE) du Parlement européen qui consiste à fixer une obligation de performance énergétique de classe E en 2030 et D en 2033 pour les bâtiments résidentiels est plutôt une bonne nouvelle.
Etienne Charbit : La proposition de la commission ITRE du Parlement relève d’une classe énergétique le niveau d’ambition de la Commission européenne qui visait une performance au niveau E en 2033, F en 2030. Malheureusement cette proposition s’accompagne déjà de possibles dérogations qui en sapent le potentiel : jusqu’à 22% des bâtiments d’habitation concernés pourraient être exemptés de rénovation jusqu’en 2037… Le Parlement européen vient de voter l’adoption de cette proposition. Puis un trilogue s’engagera, entre Parlement, Commission et Conseil européens, à partir d’avril 2023, pour arrêter le texte final de la directive. S’il reste à finaliser les négociations sur ce texte, le signal envoyé est clair : quel que soit le point de référence, tous les États membres devront faire des efforts en matière de rénovation énergétique.
Ces nouvelles normes vont-elles permettre de rénover toutes les passoires thermiques en Europe et de lutter contre la précarité énergétique ?
EC : L’idée est bien, d’ici 2033, de supprimer tous les logements de classe G, F et E ! Mais du simple fait des exemptions, toutes les passoires thermiques ne seront pas rénovées. Renovate Europe estime que seul 22 à 25% du parc immobilier de logements européen sera concerné par ces normes. La proposition d’ITRE met cependant l’accent sur la nécessité de mesures de soutien pour les ménages les plus vulnérables, ceux en situation de précarité énergétique. Certes on demande un effort de rénovation, mais on veille aussi à ne laisser personne sur le bord du chemin. Par ailleurs, en se satisfaisant de sauter de 1 à 3 classes de DPE, on n’encourage pas les rénovations les plus performantes. L’économie d’énergie ainsi réalisée est de l’ordre de 30%. Alors qu’amener une passoire thermique au niveau BBC réduit les consommations d’énergie de 4 à 8 fois, ce qui permet une sortie pérenne de la précarité énergétique.
Faut-il relever l’ambition du texte ?
AR : Au-delà des MEPS, la proposition d’ITRE contient de nombreuses mesures moins importantes qui, mises bout-à-bout, créent une dynamique favorable : la prise en compte du carbone incorporé, le passeport de rénovation qui donne à chaque propriétaire accès aux rénovations antérieures de son bien, l’incitation faite aux banques de financer la rénovation énergétique, l’objectif de zéro émission pour les bâtiments neufs dès 2028… Mais si l’on se place du point de vue de l’Accord de Paris, alors oui il faut davantage d’ambition. Il est important de donner une feuille de route, avec des objectifs précis et des points d’étapes aux propriétaires, comme aux entreprises du BTP ou aux fabricants de matériaux isolants.
EC : L’objectif fixé est la neutralité carbone dans le bâtiment en 2050. Même si on arrivait au niveau D en 2033, il resterait beaucoup à faire. Le nombre de rénovations performantes à réaliser entre 2033 et 2050 sera multiplié. Il faut d’ores-et-déjà définir ce que l’on doit réaliser en 2040, ce que ne prévoit pas la directive.
Quelle voix porte la France dans le cadre de ces négociations ?
AR : La France fait partie des pays européens les plus volontaristes, avec un rôle moteur. Mais sa position est ambigüe : ainsi elle a cosigné, avec six autres pays dont l’Allemagne, une déclaration estimant que les mesures proposées, en octobre 2022, par le Conseil européen pour amplifier les chantiers de rénovation énergétique manquaient d’ambition. Elle aurait pu peser davantage, voire s’opposer à la proposition du Conseil plutôt que d’y annexer une déclaration, louable mais peu explicite. Espérons qu’elle se mobilise pour que soit adoptée une directive à la hauteur des enjeux.