Entretien sur la valeur locale générée par les projets de transition énergétique

« Les projets de transition énergétique portés localement génèrent une valeur locale considérable ». Yannick Régnier, responsable de projets au CLER explique pourquoi et comment la transition est créatrice de valeurs et moteur de développement économique et territorial.

Que veut-on dire quand on parle de création de valeur avec la transition énergétique territoriale ?

Au départ, on parlait surtout de la valeur monétaire et des retombées économiques. Maintenant, on aborde aussi les valeurs au pluriel parce que mener la transition sur un territoire, c’est se poser la question de nos besoins fondamentaux et de ce à quoi nous attribuons de l’importance. Oui, la transition est créatrice de valeur et moteur de développement. Mais par ailleurs, le développement économique ne peut plus se faire comme avant. Les modèles économiques des entreprises doivent évoluer (vers l’économie circulaire, de la coopération, sociale et solidaire…) et lles élus doivent changer leur manière de mener leurs politiques publiques et penser le développement territorial différemment.

Vous donnez l’exemple suivant : pour un territoire de 50 000 habitants, la facture énergétique s’élève à 120 millions d’euros. En engageant la transition énergétique, on va la réduire et la relocaliser…

Les territoires ont rarement conscience de ce montant (2000 à 3000 euros par personne), payé par les habitants, les entreprises et les collectivités. Chiffrer la facture énergétique territoriale incite à agir. Diminuer les consommations, ce sont des factures moins chères et une protection contre les hausses des prix.

« Les projets énergétiques peuvent être un moyen au profit d’autres objectifs du territoire. »

Produire localement de l’énergie, c’est créer de l’activité locale et une source de revenus. Dans un rapport, l’Ademe a ainsi estimé que la transition pourrait créer près de 50 000 emplois supplémentaires dans les Hauts-de-France (1). Bien sûr, il faut accompagner les reconversions.

Comment expliquer que la transition énergétique peut générer d’autres valeurs qu’économiques ?

Au fond, pourquoi une collectivité investirait dans un parc éolien ? Son objectif n’est pas de “faire de l’argent” et les développeurs privés connaissent leur métier. Mais les projets énergétiques peuvent être un moyen au profit d’autres objectifs du territoire : amélioration de la cohésion sociale, renforcement de la vitalité démocratique, réduction des impacts environnementaux, gestion durable de l’agriculture… L’énergie touche à de nombreux enjeux de développement.

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Cet entretien est paru en avril 2020 dans la revue Notre énergie n°126

La collectivité doit donc se saisir de la transition énergétique comme levier pour poursuivre d’autres objectifs de politique publique ?

L’installation de grands projets énergétiques générera toujours des retombées au profit de la collectivité, qui seront utilisés au bénéfice de l’intérêt général. Mais la fiscalité et les loyers ne représentent que 35 % des recettes locales potentielles. Les collectivités peuvent actionner un autre levier d’ancrage de la valeur, en investissant au capital des sociétés de projet. En augmentant leurs recettes, elles auront à terme la capacité de mieux traiter des problématiques plus complexes et moins faciles à financer, comme la mobilité durable ou la précarité énergétique…

Le modèle de portage des projets d’énergies renouvelables a-t-il une influence significative sur les retombées locales ?

Quand un parc éolien est mis en place, de la valeur est créée pendant les phases de construction, exploitation, financement… La question à se poser pour chaque poste est : quelle part de la valeur générée par ce projet reste sur le territoire ? Une étude allemande (2) observe que le portage local d’un projet éolien génère huit fois plus de valeur locale qu’un portage externe. On voit donc bien l’intérêt de consentir initialement à un important investissement local. La question qui se pose, c’est : qui est en capacité de porter ces projets ?

« Les habitants supportent de moins en moins que des grands projets énergétiques arrivent sur le territoire en « tombant du ciel ». Il y a une nécessité de construire avec eux ! »

C’est ce que nous appelons les opérateurs énergétiques territoriaux. Généralement, il faut les créer, mais parfois, c’est une structure existante qui prend ce rôle en charge. On peut citer l’exemple réussi de la coopérative agricole des Fermes de Figeac, qui a commencé par un projet, et en a développé d’autres petit à petit (solaire, éolien, bois énergie, méthanisation).

Ces initiatives doivent-elles être accompagnées par la collectivité ?

Aujourd’hui, les collectivités locales ont rarement les compétences requises pour accompagner  les porteurs de projet. L’enjeu est de mutualiser les compétences techniques et financières nécessaires au sein de structures tierces pour les appuyer dans leurs projets. Ce sont les réseaux régionaux associés à Energie partagée, les syndicats d’énergie, les associations spécialisées… Il n’y a pas de modèle unique. L’intervention de l’Ademe ou des Régions est aussi déterminant.

Le manque de moyens humains dans les petites collectivités sur ces sujets est-il un problème ?

Quelque part oui. Les grands projets d’énergies renouvelables se situent majoritairement dans les territoires ruraux. Or c’est là qu’il y a le moins d’ingénierie pour les prendre en charge. Pourtant, quand on comprend que des projets portés localement génèrent une valeur locale considérable, on se dit qu’accompagner le développement de la capacité des territoires à se porter acteur de la production d’énergies, c’est une politique de développement rural et de cohésion territoriale, plus qu’une politique environnementale. Dans certains territoires, il n’y a aucun autre levier de développement !

Comment peut-on faire participer le citoyen ?

La transition énergétique sera territoriale et sociétale ou ne sera pas. Nous vivons une période de grandes transformations, dans laquelle nos modes de vie vont évoluer. Le citoyen est au cœur de tout cela. En outre, les habitants supportent de moins en moins que des grands projets énergétiques arrivent sur le territoire en « tombant du ciel ». Il y a une nécessité de construire avec eux. La qualité de la concertation autour des projets est importante : tout le monde doit être au courant de ce qu’il va se passer et doit pouvoir donner son avis. Il faut aussi offrir différentes conditions de participation : du financement participatif en prêt, simple et peu risqué, jusqu’à l’investissement au capital, plus complexe et rémunérateur.

Concernant la méthanisation, on remarque aussi une résistance de plus en plus forte, alors même que ces projets sont souvent portés par des agriculteurs du territoire. Que se passe-t-il ?

Il y a bien sûr une dimension « pas dans mon jardin ». Les élus et agriculteurs avec lesquels nous travaillons remarquent qu’il est de plus en plus difficile de mettre les gens autour d’une table et de dialoguer de manière apaisée. Les positions se crispent et parfois se radicalisent. Il y a donc un enjeu démocratique à l’échelle des territoires à construire une vision collective qui donne envie et à mener des projets en commun pour la concrétiser. C’est comme ça que l’on retissera le lien social. C’est tout le sens de la démarche de territoire à énergie positive.

Propos recueillis par Claire Baudiffier, journaliste.

(1) « Enjeux énergétiques et emplois en Hauts-de-France », Ademe, mai 2018.

(2) La création de valeur régionale dans l’industrie éolienne : l’exemple de la Hesse du Nord, Office franco-allemand pour la transition énergétique, février 2017

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