Pass Picardie Rénovation : « Nous étions précurseurs »
En agissant sur la demande de travaux d’économies d’énergie, Picardie Pass Rénovation, lancé mi-2014 de façon expérimentale sur l’ancienne région Picardie, contribue à faire émerger un marché local durable de la rénovation énergétique des logements privés. Par la même occasion, il permet le maintien et la création de centaines d’emplois non délocalisables dans la filière du bâtiment. Une opportunité dont se saisissent de plus en plus les entreprises artisanales de la région, dans une logique gagnant-gagnant.
Retour sur la prise en main de ce dispositif par les artisans, avec Alice Morcrette, directrice du Service public de la rénovation énergétique (SPEE) et José Faucheux, couvreur et président de la Capeb Picardie.
Comment les artisans ont-il pris part au processus en 2014 ?
AM : Quand le dispositif a été lancé, nous avions l’obligation, en tant que service public, de passer par des appels d’offres pour trouver les entrepreneurs qui réaliseraient les travaux de rénovation énergétique. Cela a été un premier obstacle important. Pour les artisans, répondre à un appel d’offre pour obtenir un chantier, c’était tout simplement du travail supplémentaire. Un projet représente 42 000 euros en moyenne, mais pour chaque « corps d’état », nous divisons les travaux par lot… de 1000 à 10 000 euros. Pour eux, le jeu n’en valait pas forcément la chandelle. Nous avons donc beaucoup travaillé avec les fédérations d’entreprises et notamment la Capeb pour inciter les artisans à répondre aux appels d’offres. Cela s’est concrétisé par des réunions et des formations, durant les deux premières années de création de la régie, dans toute l’ancienne région Picardie. L’objectif était de simplifier un maximum le travail des petits artisans qui pour la plupart sont seuls, sans secrétariat, et craignaient d’être dépassés par les tâches administratives.
JF : Effectivement, nous avons tout de suite tiré la sonnette d’alarme. Quand l’entreprise est très petite, le travail administratif se fait le soir et le weekend, par l’artisan ou son conjoint, il fallait donc adapter cette nouvelle réglementation à leur rythme et surtout les rassurer grâce à un cahier des charge simplifié. Les premières réticences étaient naturelles. Mais ils étaient aussi intéressés par l’opportunité de nouveaux chantiers… Nous avons donc réalisé un effort important de communication. Les artisans n’avaient alors pas toutes les clés en main pour comprendre l’importance de la rénovation énergétique : nous étions précurseurs. Il a donc fallu expliquer les évolutions de la société : oui, les artisans seraient amenés à accompagner leurs clients, avec l’obligation de réaliser des études thermiques, envisager les travaux autrement selon une approche « globale » en associant des travaux de menuiserie (comme le changement de fenêtres) à des travaux de ventilation… Rétrospectivement, cela a très bien démarré.
Sont-ils toujours autant investis aujourd’hui ?
JF : Oui. Quand un nouveau dossier est sur la table, plusieurs entreprises se positionnent dessus quasiment spontanément. Le réseau est fonctionnel, les artisans intéressés par la rénovation énergétique surveillent les annonces. Au début, on avait du mal à avoir deux chauffagistes, deux électriciens ou deux couvreurs sur une même opération. Aujourd’hui, ils sont chaque fois 2 ou 3 à postuler sur un même lot. A titre personnel, j’ai positionné mon entreprise de couverture sur ces chantiers depuis plusieurs années, mais cela nécessite d’appréhender son travail autrement, à l’aide de techniques et de matériaux nouveaux, de compétences supplémentaires. La couverture, à proprement parler, ce sont les tuiles ou les ardoises que vous posez sur la maison. La couche, en dessous, a longtemps été considérée comme un simple complément d’étanchéité. Cette isolation est pourtant primordiale… Localement, la Capeb a accompagné les entreprises, de plusieurs corps d’état, à évoluer notamment en se formant, et obtenant le label « RGE ». Nous avons aussi encourager les artisans à se connaître, à créer des groupements d’entreprises pour mieux collaborer et se coordonner sur chaque chantier. Aujourd’hui, plusieurs entrepreneurs s’associent pour répondre ensemble à un appel d’offres.
« L’objectif était de simplifier un maximum le travail des petits artisans qui pour la plupart sont seuls, sans secrétariat. »
AM : Dès la deuxième année de fonctionnement, nous avions acquis un nombre suffisant d’artisans avec 600 inscrits dans notre base de données. Aujourd’hui, 1000 artisans se sont inscrits dont effectivement plusieurs groupements. Clairement, la confiance s’est installée. En terme d’appels d’offres, 134 dossiers ont été présentés en 2017, la plupart ont effectivement reçu 2 ou 3 réponses par lot. Aujourd’hui, nous recherchons tout de même de nouveaux artisans. Il faut les faire tourner pour pouvoir répondre à la demande. Par ailleurs, pour les ménages précaires qui bénéficient de l’aide de l’Agence nationale de l’Habitat (Anah)et pour lesquels nous intervenons par le biais du tiers-financement, nous travaillons avec les opérateurs de l’Anah sur le territoire qui ont un portefeuille d’artisans complémentaire du nôtre.
Le Picardie Pass Rénovation est une réussite. Le constat semble partagé entre vous. Qu’attendez-vous désormais pour poursuivre l’aventure, notamment des pouvoirs publics ?
JF : Le plus grand défi selon moi est de communiquer, et de donner plus de visibilité au dispositif. Mais pour cela, il faut de la stabilité et plus de clarté dans les aides financières disponibles. Certains clients n’y comprennent rien ! Ils entendent à la radio que le Crédit d’impôts transition énergétique (CITE) ne prendra plus en compte les menuiseries, alors ils font des amalgames, ils sont perdus. Du point de vue de l’artisan, c’est pareil : faire tous ces efforts pour obtenir des labels RGE ou devenir éco-artisans, et ne pas voir de marché de la rénovation énergétique émerger près de chez soi… c’est décourageant. Nous, les artisans, nous ne pouvons pas être prescripteurs de travaux : quand on leur parle de bouquets de travaux ou de la performance énergétique globale de leur maison, les particuliers s’imaginent que nous voulons leur vendre toujours plus ! On a beau leur parler de leur facture énergétique ou de l’environnement, ils sont méfiants ! Le technicien de la Régie du SPEE intervient comme un tiers de confiance. Ce rôle est crucial.
« Parce que nous poussons la porte de chez les particuliers, notre travail a une forte dimension sociale et donne du sens à nos métiers. »
AM : Oui, il faut favoriser le principe de guichet unique. Nous sommes neutres et ce regard extérieur rassure les particuliers qui n’ont pas les notions techniques suffisantes pour mener à bien leur projet ou craignent que la qualité des travaux ne soit pas au rendez-vous. Notre intervention permet de monter des projets qui ne se feraient pas naturellement. Les gens n’ont pas besoin de multiplier les contacts chez les conseillers, les artisans, les banquiers… Nous sommes leur interlocuteur unique et nous faisons tout pour que les chantiers se passent bien. Et c’est souvent plus facile quand les artisans, de leur côté, se connaissent et ont l’habitude de travailler ensemble, en groupements.
Selon vous, comment massifier ces dispositifs, aller au-delà de l’expérimentation ?
AM : Un Fonds de garantie national ou européen permettrait de sécuriser les emprunts des régions. Les masses financières à engager pour elles seront en effet colossales si la massification est un succès. En France, plusieurs sociétés de tiers-financement se sont créées récemment et nous débattons de solutions possibles pour poursuivre le tiers-financement de façon sécurisée et garantir ces investissements. Je pense que le tiers-financement est une nécessité pour les plus précaires pour qui le « reste à charge » est souvent encore trop élevé après déduction des aides. Pour les plus pauvres, le système bancaire sera toujours trop difficile d’accès. Mais c’est aussi au système bancaire de s’emparer du sujet : avec une offre bancaire compatible et ambitieuse qui tiendrait compte des économies d’énergie générées, on lèverait le problème du tiers-financement pour un certain nombre de personnes qui peuvent rester dans le circuit bancaire classique.
JF : Notre exécutif régional, comme les dirigeants de manière générale, ont une vision comptable. Peut-être craignent-ils de ne pas être ré-élus ! Cautionner l’emprunt des particuliers, par le tiers-financement, augmente leur taux d’endettement. On voit bien que c’est leur grande crainte. Je pense que la réponse doit venir au niveau national ou européen : pour soulager le poids des régions qui mettent en place ce type de dispositif, un fonds de garantie doit exister pour porter la dette et l’emprunt. Il faut se donner les moyens de son ambition… Une politique ambitieuse de rénovation énergétique n’a que des avantages ! Je peux vous dire que, dans nos campagnes, les familles pauvres qui vivent dans des maisons mal isolées, avec de la moisissure et de la condensation, sont nombreuses. Si on prévient les maladies respiratoires des enfants ou des personnes âgées grâce à des travaux, on diminue aussi le trou de la sécu ! En plus, on crée de l’emploi sur notre territoire. Artisans, c’est un métier de proximité non délocalisable.
AM : Les techniciens de la Régie du SPEE et les artisans collaborent, chacun avec sa spécificité. Après la prise de contact téléphonique de la part des particuliers, un technicien s’empare du dossier et se déplace pour réaliser un diagnostic du logement mais aussi pour aider les particuliers ! Parce que nous poussons la porte de chez eux, cela a une forte dimension sociale et donne du sens à nos métiers. C’est fortement complémentaire des missions des plateformes de la rénovation énergétique ou des Espaces Info Energie qui n’ont pas forcément les moyens de faire cette visite et font un premier travail d’information à distance. Le technicien fait ensuite le lien avec tous les artisans qui interviennent sur ces dossier et ont pour la plupart aussi cette fibre sociale.
Cet article est extrait du CLER Infos n°117
Les entreprises sont au cœur de la mise en œuvre concrète de la transition énergétique dans le bâtiment. C’est le plus souvent en solo que ces professionnels de terrain – la majorité sont des artisans ou des auto-entrepreneurs – s’interrogent sur l’existence d’un marché de la rénovation énergétique en France. Alors que le gouvernement lance un débat d’ampleur sur ce sujet, où les plus gros acteurs ont beaucoup à gagner, qu’en pensent les plus petits ? Pourront-ils tirer leur épingle du jeu ? Doivent-ils se regrouper pour travailler plus et mieux ? Avec quels autres acteurs de terrain nouer des relations de confiance ? Ce dossier du CLER Infos leur donne la parole.
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