« Le dispositif des CEE souffre de défauts importants à corriger »
Les Certificats d'économie d'énergie (CEE) occupent une place centrale dans la politique énergétique de la France. Ce dispositif, dont le coût est répercuté sur la facture énergétique des consommateurs d’énergie, permet de faire financer des opérations d'économies d'énergie par les énergéticiens mais présentent aussi des failles trop importantes. Le point avec Hakim Bejaoui, responsable de projets CEE au CLER – Réseau pour la transition énergétique.
Comment fonctionnent les CEE ?
Créé en 2006, ce système repose sur l’obligation imposée par les pouvoirs publics aux fournisseurs d’énergie et distributeurs de carburants de réaliser des économies d’énergie. Ceux-ci s’engagent à promouvoir l’efficacité énergétique auprès des consommateurs d’énergie (les ménages, mais aussi les collectivités territoriales ou les professionnels). Plus ils réalisent des économies d’énergie, plus ils acquièrent des certificats (1 CEE = 1 kWh cumac d’énergie finale économisé (1). Ils peuvent financer directement l’action ou acheter des CEE à d’autres acteurs qui ont eux-même réalisé des efforts.
Les CEE concernent l’ensemble des secteurs liés à la consommation d’énergie (bâtiment, transport, industrie et agriculture). Trois types d’actions peuvent donner lieu à la délivrance de CEE : la réalisation d’opérations standardisées, la valorisation d’opérations spécifiques et le financement de programmes. C’est ainsi que notre association porte deux programmes éligibles aux CEE, le Slime qui accompagne les collectivités locales qui souhaitent lutter contre la précarité énergétique, et Actimmo qui sensibilise les acteurs de la transaction immobilière à la rénovation BBC. A la fin de chaque période, s’ils ne respectent pas leurs obligations, les énergéticiens sont tenus de verser une pénalité pour chaque kWh cumac manquant.
Ce système est-il suffisamment vertueux pour financer la transition énergétique ?
Le dispositif est devenu l’un des principaux instruments de financement des opérations d’économies d’énergie en France (entre 1,5 et 2 milliards d’euros en 2019). Au détriment des autres leviers politiques qui ne sont pas actuellement dotés des moyens nécessaires et à la hauteur des enjeux : réglementation, dépenses publiques pilotées par l’Etat et les collectivités locales, budget d’intervention de l’Ademe, financement du Service public pour la performance énergétique de l’habitat pourtant inscrit dans la loi depuis 2015…
« Nous estimons que le volume des économies d’énergie doit impérativement être accru en cas de prolongation du dispositif »
En parallèle, la France accumule un retard toujours plus important sur la trajectoire d’économies d’énergie fixée par la Loi de transition énergétique, et vis-à-vis du cadre européen en vigueur… Il est clair que le dispositif des CEE n’est ni idéal, ni parfait ! Pour respecter la trajectoire d’économies d’énergie nécessaires à long terme de la France, nous estimons que le volume des économies d’énergie doit impérativement être accru en cas de prolongation du dispositif : le point de passage en 2021 devrait correspondre à un volume d’obligation supplémentaire de 900 TWh cumac par rapport à la période actuelle, soit 2500 TWh entre 2018 et 2021. Sans cette augmentation, nous doutons qu’il soit judicieux de faire perdurer ce dispositif.
Que proposez-vous en outre pour l’améliorer ?
Le dispositif souffre de plusieurs défauts importants qu’il est nécessaire de corriger urgemment. Comme tout mécanisme de marché, le dispositif des CEE peut générer un risque d’effet d’aubaine pour les « obligés ». En effet, le coût des CEE répercuté sur la facture énergétique des consommateurs peut varier en fonction de la situation du marché des CEE. Il faut empêcher la possibilité pour les énergéticiens de profiter de l’augmentation des prix du marché des CEE pour réaliser une marge financière au cours de la manœuvre en finançant des actions d’économies d’énergie à moindre coût (2). Cela garantirait d’une part un juste prix du dispositif pour les consommateurs et d’autre part que l’ensemble des montants générés soient bien affectés aux économies d’énergie.
On peut également interroger l’effet redistributif du dispositif : si tous les consommateurs y contribuent à travers leurs factures d’énergie, rien n’assure que ceux qui en bénéficient sont ceux qui en ont le plus besoin. Les ménages modestes doivent être spécifiquement ciblés. En outre, faute de suivi et de contrôles suffisants, plusieurs risques d’abus et de dérives ont été constatés. Il est donc nécessaire de revoir le pilotage et la gouvernance du dispositif. Il doit être réorienté vers les travaux les plus efficaces, les moyens alloués à l’évaluation, au contrôle et à la vérification renforcée de la réalité des économies d’énergie doivent être substantiellement augmentés. Enfin, la gouvernance du dispositif doit être rééquilibrée dans le sens d’une moindre dépendance aux contributions des acteurs du marché (obligés et « vendeurs » de CEE) et d’une amélioration de la transparence pour tous les acteurs.
(1) Cette unité correspond au cumul des économies d’énergies pendant l’ensemble de la durée de vie d’une action d’efficacité énergétique donnée.
(2) C’est par exemple le cas actuellement des CEE “programme” dont le prix est fixé par l’Etat à 5 € / MWh cumac alors que le cours sur le marché est autour de 9 €. Ainsi, les obligés ou les agrégateurs qui achètent des CEE auprès des porteurs de programme peuvent bénéficier d’une marge de 4 € sans effort particulier.
Avis du CLER – Réseau pour la transition énergétique Concertation sur l’ajout d’une 4ème année à la 4ème période CEE
Avril 2019.
Consulter la publicationHakim Bejaoui
Responsable de projets CEE au CLER – Réseau pour la transition énergétique
hakim.bejaoui[arobase]cler.org