Jean-François Caron: « La pratique descendante du pouvoir, c’est fini ! »
Depuis 2001, la Ville de Loos-en-Gohelle (6000 habitants) a mis en place une stratégie de conduite du changement dans laquelle le citoyen tient un rôle central. Cette implication des habitants s'articule autour de temps collectifs de co-construction et d'une volonté de responsabiliser tous les acteurs de terrain. Elle modifie également l'exercice du pouvoir du maire... Entretien avec Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle.
Depuis de nombreuses années, la Ville encourage la participation des habitants aux projets de transition énergétique menés par le territoire. Pourquoi est-ce important pour vous ?
Nous souhaitons emporter l’adhésion autour d’un nouveau modèle de développement. Pour ne pas buter sur des modèles économiques et des représentations qui bloquent cette transition, il faut privilégier une entrée « systémique » et globale. Installer quelques panneaux solaires, c’est facile pour un maire et son équipe technique, et surtout, c’est insuffisant ! Aujourd’hui, toutes nos actions s’imbriquent entre elles, et pour obtenir des résultats significatifs, tout le monde doit se mobiliser et s’impliquer vers un seul objectif. Nous avons donc construit cette vision globale, une « étoile qui brille dans le ciel ». A Loos, qui a beaucoup souffert de son passé minier très polluant pour les sols, et impactant la santé des habitants, notre nouveau « code source », c’est la ville durable. Mais un tel changement ne se pilote pas d’en haut.
Comment avez-vous agi concrètement pour mobiliser les habitants ?
Nous avons commencé par raconter la transition de Loos en écrivant le récit de sa transformation sous diverses formes, de ce passé minier à aujourd’hui, grâce par exemple à des spectacles de sons et lumières sur la fin du charbon et l’émergence de notre ville innovante. La façon dont les gens le racontent et se l’approprient sur le long terme est très importante. C’est aussi grâce à toute une série de petites actions que nous allons les chercher. Nous misons sur l’implication des habitants de façon générale, en encourageant la vie associative – le nombre d’associations a doublé à Loos – et en passant des contrats avec les « porteurs de projets ».
« Nous misons sur l’implication des habitants de façon générale, en encourageant la vie associative et en passant des contrats avec les porteurs de projets ».
C’est ce que nous appelons le « 50/50 » : les collectifs d’habitants ont un droit à l’initiative pour développer des actions d’amélioration de leur cadre de vie, la mairie soutient financièrement et techniquement ces actions, mais chacun est appelé à mettre la main à la pâte pour assurer leur fonctionnement ! C’est une façon de responsabiliser les citoyens. On ne veut pas ici accentuer une posture d’enfants gâtés qui diraient : « c’est l’argent de mes impôts, j’ai droit à ça ». On ne « consomme » pas l’action publique, on participe tous… c’est différent. Ainsi, on redonne de la fierté, de la dignité à chacun d’avoir oeuvré pour sa ville ! Et ça fonctionne !
La thématique énergétique vous paraît-elle attractive pour les habitants ?
Oui, l’avantage de l’énergie, c’est que les résultats des efforts effectués sont palpables pour les gens, contrairement à la biodiversité par exemple. Ils peuvent voir l’impact sur leur pouvoir d’achat. A l’heure actuelle, plus de 10 % de notre patrimoine bâti est éco-construit ou rénové. Les premiers habitants qui ont bénéficié de travaux ne paient plus que 150 euros de chauffage par an, alors que la facture de leurs voisins s’élève parfois à 2000 euros. C’est un nouvel art d’habiter la ville qui s’accompagne d’un long changement culturel… mais avec de tels chiffres, on convainc un peu tout le monde ! Ne pas gaspiller l’énergie, cela relève du bon sens, surtout pour les populations les plus pauvres, et cela génère une adhésion de principe. Et c’est vrai aussi à l’échelle de la commune : on attend du maire qu’il ait une bonne gestion du budget.
Quel est le rôle de la mairie et de ses techniciens ?
Grâce à la « machine de la mairie », nous avons la capacité d’aller chercher de l’ingénierie et nous avons des réseaux que nous pouvons mobiliser en France et à l’international pour trouver des solutions et monter des projets. Les citoyens ne sont pas seuls face aux considérations financières et techniques d’un montage de projets d’énergie citoyenne par exemple. Tous les membres de notre équipe municipale, quel que soit le poste, ont comme mission de « pister » les temps collectifs pour faire participer les habitants aux projets mis en œuvre par la ville, c’est là aussi que se situe l’entrée systémique de notre travail. Ne pas faire du « techno » et coproduire avec les citoyens : c’est un objectif central du travail des services de la mairie.
Les élus que vous rencontrez sont-ils intéressés par cette démarche ?
Le problème de l’implication citoyenne, c’est qu’elle ne peut pas être faite à moitié. On ne peut pas faire machine arrière. Si on encourage la « capacitation » des habitants, la posture de l’élu n’est plus la même : je considère que je suis un animateur de débat, d’un collectif. La pratique descendante du pouvoir au sens classique, pour moi, c’est fini ! Mais cette nouvelle posture ne correspond pas au schéma mental de l’immense majorité des élus locaux qui ne sont pas prêts à se remettre en cause. Avoir une pratique du pouvoir autoritaire, c’est la nature humaine… Certains élus sont parfois tentés mais ils ont souvent peur de se laisser déborder. Manager une participation habitante, c’est une science de haut niveau ! Il ne suffit pas de dire : « On se réunit, on partage ». C’est compliqué et il n’y a pas de recettes isolées, comme pour installer des panneaux solaires. Cela requiert des savoirs êtres qu’il faut acquérir.
(Crédits photos : Loos-en-Gohelle)
Cet article est extrait du CLER Infos n°120
Pendant longtemps, l’énergie était le pré-carré des ingénieurs, et de débats, il n’y en avait point. Finie, cette confiscation des enjeux énergétiques ! Face aux menaces des changements climatiques sur notre environnement, nous sommes tous des acteurs de la transition. Pour diminuer nos consommations d’énergie et produire des énergies renouvelables, il faut « agir », le faire vite, mais surtout ensemble. En un mot : coopérer. Mais sensibiliser et mobiliser sont des missions qui relèvent d’une délicate science humaine et requièrent du travail sur soi et de l’humilité. Comment ça marche ? C’est LA question que nous nous posons tous ! Voici quelques pistes et expérimentations venues des territoires.
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