Cécile Duflot : « Pour une bifurcation écologique »

Directrice générale d’Oxfam France, Cécile Duflot appelle à un sursaut et plaide pour une véritable bifurcation écologique face à des politiques publiques qu’elle juge inefficaces. Entretien.

Quels sont les rôles respectifs des pouvoirs publics et des ONG pour avancer vers une transition énergétique juste et efficace ?

Cécile Duflot : Je suis convaincue que les pouvoirs ne fonctionnent bien qu’avec des contre-pouvoirs. Les associations nourrissent le débat démocratique, offrent une résistance face aux lobbys, aiguillonnent les décideurs politiques. Il y a 3 ans tout juste, le 14 octobre 2021, quatre ONG dont Oxfam France obtenaient la condamnation de l’État français pour inaction climatique. Cette mise en lumière des enjeux sur la place publique fait murir la société. C’est au Sahel qu’Oxfam a mesuré combien la question climatique venait amoindrir tous les efforts de lutte contre la pauvreté. En France, le logement montre bien cette intrication : ce sont les plus précaires qui vivent dans les passoires thermiques et qui ont le moins de moyens pour engager des travaux de rénovation. Or ces travaux sont indispensables pour améliorer leur santé et leur qualité de vie, les sortir de la précarité énergétique et, à une échelle plus large, réduire les émissions de gaz à effet de serre du parc immobilier tout en créant, par la multiplication de petits chantiers de rénovation globale des emplois durables et non délocalisables. La lutte contre le changement climatique est une lutte contre les inégalités

Les politiques publiques sont-elles à la hauteur de l’enjeu ?

Cécile Duflot : Les choix budgétaires et fiscaux de ces sept dernières années n’ont rien résolu et ont même aggravé les crises et les inégalités en France. Les politiques publiques actuelles sont le contre-exemple de ce qu’il faut faire : elles procèdent par à-coups, sans tenir de cap, ce qui les rend illisibles et empêche la confiance. A titre personnel, j’estime qu’il faudrait une loi de programmation de la bifurcation écologique calquée sur le modèle de la loi de programmation militaire, qui engage au-delà d’un gouvernement. Nous attendons, depuis plus d’un an, le troisième Plan National d’Adaptation au Changement Climatique.  Aujourd’hui le débat est claquemuré sur la dette publique et la recherche d’économies. Oxfam-France propose un manifeste fiscal dont les mesures permettraient de dégager 101 milliards de nouvelles recettes sans impacter les classes moyennes ou modestes. De quoi financer la bifurcation écologique, évaluée à 66 milliards d’euro d’investissement annuel par le rapport Pisani Ferry et Mahfouz et atteindre les objectifs identifiés par les travaux du secrétariat général à la planification écologique. Nous avons estimé qu’un investissement de 21 milliards d’euros par an suffisait pour mettre fin aux passoires thermiques, transformer les modes de chauffage et tenir nos objectifs de rénovation des bâtiments. Collectivement, nous savons ce qu’il faut faire et comment le faire. Où est la volonté politique ?

Quelles sont les priorités ?

Cécile Duflot : Les principaux chantiers sur lesquels il faut agir sans délai sont ceux du transport, de l’agriculture et du bâtiment. Dans ces trois secteurs, les questions climatiques et de lutte contre la pauvreté sont totalement intriquées. Pour chacun d’entre eux, il faut mettre l’investissement nécessaire au regard du coût de l’inaction. Ce dernier est tellement élevé, que du simple point de vue comptable, sans même tenir compte de bénéfices sociaux et environnementaux, l’investissement public est fondé. A titre d’exemple, selon les chiffres du collectif Rénovons publiés l’année dernière dans le rapport « Logement : inégalités à tous les étages » d’Oxfam-France, la rénovation des 27 millions de logements les plus énergivores représente une économie de 10,8 milliards d’euros sur la facture énergétique des ménages et de 700 millions d’euros pour le système de soins. Ne pas agir rapidement est une faute. Les citoyens, les associations doivent continuer à se mobiliser et à mettre la pression sur les parlementaires.