Élections européennes : l’heure de vérité pour la transition énergétique ?

Des accords de Paris au pacte vert, l’Europe a fait de grands efforts pour la transition énergétique. L’ambition de ces politiques européennes sur la transition est-elle désormais menacée ? Dans une table-ronde organisée lors des Rencontres annuelles du CLER-Réseau pour la transition énergétique et animée par Béatrice Delpech, directrice adjointe d’Enercoop, Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt, et Claude Turmes, ancien eurodéputé et ministre du Luxembourg, ont abordé les enjeux des prochaines élections européennes.

Béatrice Delpech : Selon-vous, quel contexte a permis la mise en place de ce Pacte vert ?

Claude Turmes : Si l’on regarde dans notre rétroviseur, on voit bien que Ursula Von Der Leyen n’est pas du tout une écolo. Cependant, en 2019  pour être élue à la commission, elle n’a pas la majorité parlementaire, elle est donc poussée à passer des accords avec une soixantaine de députés en promettant de s’engager sur le climat. En plus de cela, la mobilisation des jeunes en Europe a mis le climat à l’agenda et a influencé le vote sur les élections européennes. Ainsi, le rapport de force d’une soixantaine de députés, les gouvernements progressistes et la vague Greta Thumberg ont permis la mise en place du Pacte vert.

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B. D. : Comment a-t-on réussi à inscrire la sobriété à l’agenda européen ?

Yves Marignac : Il y a 5 ans, on s’est dit que ça pouvait faire sens de porter à l’échelle européenne ce que négaWatt avait porté en France à savoir le triptyque sobriété, efficacité énergétique et énergies renouvelables. Pour cela nous avons produit de manière collaborative, avec 25 partenaires européens, le scénario Clever à partir des trajectoires nationales ambitieuses. Le scénario montre que la sobriété est une condition clé pour atteindre les objectifs climatiques, mais aussi pour maîtriser la trajectoire. Tous les états membres ne sont pas égaux, il est plus facile d’atteindre les objectifs européens si on mutualise.

Aujourd’hui, je ne sais pas si on a inscrit la sobriété à l’agenda, les choses ne vont pas assez vite. Mais avec la crise en Ukraine, beaucoup d’acteurs ont fait de la sobriété sans le savoir. La France a fait des plans de sobriété, d’autres pays ont fait de même sans le nommer. Ça reste superficiel mais ça a permis de rendre compte que travailler sur la demande donne des résultats rapides.

 

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B.D : Le marché européen de l’électricité est régulièrement critiqué en France. Dans quelle mesure ce marché est-il facilitant, ou non, pour parvenir au 100% EnR en Europe ?

Claude Turmes : Le marché européen de l’électricité est beaucoup critiqué en France. Il faut faire un travail de pédagogie pour qu’il ne soit plus systématiquement attaqué. Le marché européen de l’électricité est une précondition pour aller sur le 100% renouvelable. Il est impossible de rêver d’un système 100% renouvelable sans un système intégré. Sans ce marché intégré électrique européen, la France n’aurait pas passé l’hiver 2022. Les Allemands ont joué la solidarité via le marché européen de l’électricité. En France il y a un agenda caché car dans un marché compétitif le nucléaire ne gagne pas. 

Yves Marignac : Pour accélérer la transition nous avons besoin d’un marché encore plus intégré et mutualisé. Ce marché doit fournir les bons signaux à long terme pour construire un système électrique en Europe. Dans cette réforme du marché de l’électricité, celui-ci ne doit pas rémunérer le maintien de notre capacité nucléaire, mais permettre des mécanismes de flexibilité. 

Béatrice Delpech : Ces derniers mois ont vu s’imposer de manière fulgurante un discours « anti-écologie » partout en Europe. Pourquoi et comment y faire face ?

Yves Marignac : La poussée pro nucléaire de la France a une influence sur la montée de ce discours et de l’extrême droite. Pour comprendre ce qu’il se joue aujourd’hui il faut comprendre pourquoi la France pousse pour le nucléaire. Le nucléaire français est enfermé dans une fuite en avant. Il est aujourd’hui compliqué de fermer des réacteurs pour des enjeux financiers. La crise ukrainienne a réactivé le nucléaire en France et l’idée de puissance qui se cache derrière. Dans cette alliance, l’État français se retrouve aux côtés de la Hongrie, des Pays-bas, de la Suède. Des pays, dont on peut douter de l’ambition climatique. La France assume de dégrader l’ambition européenne.

Claude Turmes : L’Europe peut basculer dans une majorité qui rendra la transition impossible. On assiste aujourd’hui à une montée des inégalités. L’ascenseur social ne fonctionne plus. Les européens ont perdu le sens et nous voulons rattraper 30 ans de retard en matière de transition dans une société européenne fatiguée. L’extrême droite utilise cette fatigue des européens via une utilisation cynique des réseaux sociaux. Nous sommes dans une crise démocratique. C’est au niveau local qu’on construit les solutions et les solidarités. Sans le CLER-Réseau pour la transition énergétique et d’autres associations en France nous n’aurions pas pu influencer les directives européennes.