Sobriété : un choix conscient de société désirable

À l'heure de l'annonce du plan de sobriété énergétique par le Gouvernement, Valérie Guillard, auteure de "Comment consommer avec sobriété" et professeure à l'Université Paris Dauphine sonde la maturité de la société française vis-à-vis de cette problématique complexe. interview.

Quelle est votre définition personelle de la sobriété ?

Valérie Guillard : Pour moi être sobre, c’est avant tout consommer mieux en questionnant mes besoins pour être en cohérence avec le vivant. C’est un rapport au monde qui m’apporte du sens et du bien-être, mais c’est aussi un cheminement qui prend du temps, qui passe par une étape de prise de conscience des menaces qui pèsent sur le climat et du rôle qu’y jouent nos choix individuels. À l’échelle collective, il s’agit de réfléchir à nos modes de production et de consommation pour limiter les impacts des activités humaines sur l’environnement, dans un contexte où les ressources naturelles sont limitées.

La sobriété n’est donc pas uniquement une question d’énergie ?

V.G. : En France, le concept de sobriété est apparu au début des années 2000 en France en tant que pilier de la transition énergétique aux côtés du développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Mais depuis on s’est rendu compte que cette approche pouvait concerner de très nombreuses thématiques : la mobilité, le numérique, l’alimentation, l’agriculture, les productions industrielles, la construction et même la planification urbaine… Ceci étant dit, la question énergétique n’est jamais bien loin : quand on cherche à construire sobre, en limitant l’utilisation d’espace et de matériaux, on économise de l’énergie en amont et on en consomme moins à l’usage.

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Quel regard portez-vous sur l’irruption récente de cette thématique dans l’actualité française ?

V.G : C’est la première fois que ce concept de sobriété connaît une telle exposition dans notre société. Si de nombreux Français n’ont pas attendu sa médiatisation pour se soucier des impacts de leur consommation, le vocable restait jusqu’à présent peu connu du grand public. Au cours d’une enquête menée l’an dernier, j’ai même pu constater que le mot était encore associé par certains à l’abstinence alcoolique ! Depuis cet été le sujet a donc été propulsé sur le devant de la scène mais on ne peut pas dire que les conditions soient réunies pour une large adhésion populaire. En effet, la sobriété apparaît davantage comme une réaction d’urgence face à la flambée des prix et à la menace de pénuries d’énergie que comme une volonté d’ajuster nos actions à nos besoins réels et à ceux de la planète. Le champ sémantique dominant est bien plus celui d’une sobriété subie que celui d’une sobriété choisie…

Craignez-vous que la sobriété soit sacrifiée sur l’autel des économies d’énergie ?

V.G : Je n’irai pas jusque-là. Je pense que la démocratisation du concept est tout de même une avancée. Mais maintenant que tout le monde voit globalement de quoi il retourne quand on parle de la sobriété il va falloir un gros effort de marketing pour la réenchanter en la présentant comme un choix conscient de société désirable et non pas comme un rationnement. Les pouvoirs publics auront un rôle majeur la construction de nouvelles représentations. J’espère notamment qu’ils sauront insister sur les bénéfices individuels en termes de revenus disponibles, de bien-être ou même de lien social. J’espère également qu’ils inciteront davantage les entreprises à montrer l’exemple, même si beaucoup se sont mises en marche – notamment à travers les démarches d’économie circulaire. Si on souhaite que les Français fassent évoluer leurs comportements il est primordial qu’ils n’aient pas l’impression d’être les seuls à consentir des efforts !

« Il va falloir réenchanter la sobriété »
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