S’engager pour la transition : du militantisme au monde du travail
Lauréate du Prix Goldman pour l'environnement, Lucie Pinson porte un regard enthousiaste sur les différents visages du militantisme de la Génération Climat. Lobbyiste convaincue, son combat consiste à mettre la pression sur les acteurs financiers pour qu'ils accélèrent leur transition.
Quel regard portez-vous sur la génération climat ?
Je les trouve très créatifs ! Loin de s’essouffler, la mobilisation gagne en inventivité au fil des mois. Quand je vois Pour un Réveil Écologique afficher le rapport du GIEC dans le métro, je suis forcément enthousiaste ! Je constate aussi que la génération climat est de plus en plus diverse, franchissant progressivement les barrières sociales et culturelles qui pouvaient exister il y a encore quelques années. Sur ce plan, des mouvements comme Alternatiba qui luttent à la fois pour le climat et la justice sociale et qui prônent une écologie populaire représentent une réelle avancée. Les barrières d’âge s’estompent également : il n’y a pas que des jeunes comme on a pu le voir lors de l’intervention pendant l’assemblée générale des actionnaires de Total Énergies. J’observe aussi que le militantisme se conjugue désormais sous des formes variées qui permettent à tout le monde de trouver son rôle et sa voix dans l’action collective. Tout le monde n’est pas obligé d’aller s’opposer physiquement dans les manifs ! Les luttes climatiques ont aussi besoins de gens qui ont un talent d’organisateur et de bons communicants…
« Le militantisme se conjugue désormais sous des formes variées qui permettent à tout le monde de trouver son rôle et sa voix dans l’action collective. »
Quid de la désobéissance civile comme forme de militantisme ?
Je pense que la désobéissance civile est un mode d’action indispensable, qui sert de nombreux objectifs, en particulier en matière de visibilité. Je crois que le fait de donner à voir une révolte est plus efficace que la dire quand il s’agit de transmettre un message. Les initiatives de désobéissance civile permettent aussi de souligner l’écart entre la légalité et la légitimité. Cela rejoint d’ailleurs ma vision de la politique qui vise à lutter contre un système légal mais pas légitime. Personnellement je garde des souvenirs très vifs des Faucheurs de chaises de 2015 – qui réquisitionnaient des chaises dans des agences bancaires pour protester contre la complaisance des banques vis-à-vis de l’évasion fiscale – et du blocage du sommet des pétroliers de Pau en 2016…
Vous-même quel est votre militantisme ?
Mon engagement écologique remonte au lycée. J’ai fait des études en sciences politiques et développement. J’ai découvert la finance verte après un stage au sein de l’association AITEC ; l’une de mes missions était de contribuer à la conception des contre-sommets du G8 et du G20. C’est là que j’ai pu mesurer l’intérêt de s’attaquer à un problème par son volet financier. Par la suite, j’ai intégré les Amis de la Terre – mon rêve de toujours – pour travailler sur le sujet de la finance. Mon premier défi a été de convaincre des banques de se retirer des projets de mines de charbon, avec un premier succès en 2014. Le lobbying, c’est l’une des formes de militantisme qui me convient le mieux !
Pourquoi avoir créé Reclaim Finance ?
Aux Amis de la Terre, mes missions portaient surtout sur les banques et sur les assureurs. J’avais envie d’explorer d’autres leviers pour accélérer la décarbonation des flux financiers. En créant Reclaim Finance en 2019, j’ai souhaité favoriser un contre-pouvoir citoyen qui analyse les activités des acteurs financiers pour analyser – et exposer au grand jour – leurs réels impacts, qui sont parfois bien loin de ce qu’ils se plaisent à mettre en avant. Pour les pousser à aller enfin dans le bon sens, nous nous adressons aussi à des acteurs un peu cachés du monde de la finance, qui échappent d’habitude aux radars des ONG – gestionnaires d’actifs, courtiers en assurances, agences de notation, banques centrales. Nos combats ce sont le charbon, bien sûr, mais aussi le gaz, le pétrole et les faux plans climats de grands énergéticiens… Au-delà du « name and shame », Reclaim Finance joue également un rôle de conseil auprès des acteurs du secteur financier pour les aider à prendre les bonnes décisions. Nous n’attendons pas qu’ils mettent un terme au système fossile du jour au lendemain, mais surtout qu’ils arrêtent d’aggraver la situation.
Notez-vous un changement d’état d’esprit chez vos interlocuteurs ?
Le climat fait aujourd’hui partie des sujets que les entreprises mettent en avant, mais à marche forcée, pas forcément de bon cœur. Ça bouge, mais pas chez tout le monde : la majorité des acteurs continue d’opérer selon les anciens modèles. C’est loin d’être un mouvement de masse. Et pour l’heure les engagements surfent encore largement sur des sujets anecdotiques comme les gobelets en papier : ça manque de chair et de conscience politique.
Vos souhaits pour l’avenir ?
Je veux que le secteur financier et les politiques changent leurs approches sur le climat, et qu’ils cessent d’être dans une optique indécente de « dérisquage », avec des périls climatiques considérés avant tout comme des menaces pour la croissance. Il est temps que l’on s’intéresse au moins autant à la matérialité d’impact (les conséquences des décisions des acteurs financiers sur les individus, la société et l’environnement) qu’à la matérialité financière (les impacts des facteurs sociaux-environnementaux sur les résultats des entreprises et institutions). L’Union Européenne a des ambitions sur ce terrain, mais encore faut-il qu’elles aillent jusqu’au bout… Ce sera l’un de mes chevaux de bataille pour les années à venir.
Bio
Lucie Pinson est diplômée d’un BA en histoire et sciences politiques de l’université de Rhodes en Afrique du Sud, et d’un double master en sciences politiques de l’université de la Sorbonne à Paris. De 2013 à 2017, elle a travaillé en tant que chargée de campagne finance pour les Amis de la Terre France puis elle a rejoint le Sunrise Project pour coordonner une campagne internationale ciblant les assureurs. Elle a fondé Reclaim Finance en 2020. Affiliée aux Amis de la Terre, l’ONG compte aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs. Lucie Pinson a reçu le prix Goldman pour l’environnement en novembre 2020, en reconnaissance de son travail sur le charbon.