Retour sur le colloque « Nouvelles solidarités urbain-rural »

Une plus grande solidarité entre les territoires urbains et ruraux est une condition pour réussir la transition énergétique en France. Chaque territoire doit contribuer à ses propres besoins et à ceux du voisin, selon ses potentiels et ses moyens. Ainsi, la France pourra devenir 100 % énergies renouvelables. Le CLER a organisé un colloque le 21 novembre 2018 à l'Hôtel de Ville de Paris, où il a présenté une nouvelle étude sur le sujet. Compte-rendu.

Restitution des travaux et témoignages d’acteurs de terrain

Le premier temps du colloque a été l’occasion de présenter l’étude réalisée par le CLER et de donner la parole à deux acteurs de terrain cités dans l’étude :

– Sylvie Mingant, Responsable Energie de Brest Métropole

– Raphaël Claustre, Directeur d’Ile-de-France Energies, opérateur de transition énergétique de la Région Ile-de-France

Sylvie Mingant a retracé l’historique de coopération entre Brest Métropole et le Pays Centre-Ouest Bretagne, territoire rural non limitrophe de la métropole, ainsi que les projets partenariaux énergétiques issus du contrat de réciprocité conclu entre les deux territoires. Cette coopération est amenée à s’approfondir en 2019 grâce à un projet européen.

Raphaël Claustre a expliqué comment les activités d’Ile-de-France Energie (efficacité énergétique et énergies renouvelables), mais aussi sa gouvernance et son positionnement contribuaient à la solidarité des territoires au sein de la région Ile-de-France.

« En créant une société à l’échelle régionale avec au capital des départements, des villes, des intercommunalités, des syndicats d’énergie, on fait de la coopération grâce à une gouvernance multiple. »
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Y a-t-il besoin de formations ou de compétences spécifiques pour de telles coopérations ? Pour Raphaël Claustre, c’est avant tout un besoin d’ingénierie territoriale. Ingénierie technique, mais aussi d’animation, car le sujet est parfois sensible.

« La Région Ile-de-France a également des territoires ruraux, mais qui subissent beaucoup de conséquences de l’hyper-métropole centrale : ils concentrent des autoroutes, les lignes ferroviaires à grande vitesse qui n’apportent pas de service supplémentaire, des centres d’enfouissement… Il est souvent plus difficile d’en rajouter que dans d’autres territoires. »

Les échanges avec la salle se sont poursuivis sur l’intérêt des collectivités rurales d’être solidaires des collectivités urbaines face au risque de devenir les « poubelles » des villes. Pour Sylvie Mingant, c’est bien dans l’intérêt des territoires ruraux de se réapproprier leurs ressources et de travailler ces enjeux dès l’amont, afin de rester décisionnaires et de valoriser leur rôle de proximité. Enfin, les territoires ruraux n’ont pas que des richesses naturelles à disposition.

« Dans le centre-ouest Bretagne, il y a une entreprise active dans le solaire depuis 1982, et on a besoin d’eux ! On a recensé nos entreprises à Brest et on s’est rendu compte que peu d’entreprises travaillaient sur le photovoltaïque sur le territoire de la métropole. Ce type d’entreprise peut nous aider à accompagner les artisans de notre territoire sur cette compétence. »

« Vous pourriez être surpris par des pépites dont on ne soupçonne pas l’existence dans les territoires ruraux. »
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[Table-Ronde] Quelles solidarités territoriales dans le système énergétique actuel ?

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– Christine Gochard, directrice générale de Gaz Électricité de Grenoble

– Pascal Sokoloff, directeur général de la FNCCR

– Jean-Baptiste Lebrun, directeur du CLER – Réseau pour la transition énergétique

Pour que les solidarités énergétiques urbain-rural fonctionnent, il faut que l’énergie puisse être produite là où se trouvent les gisements et soit transportée, puis distribuée sur les lieux de consommation. Cela implique des enjeux techniques et des enjeux d’infrastructures, pour lesquels des mécanismes de solidarité existent, mais varient en fonction des vecteurs énergétiques (électricité, gaz, chaleur, carburant) et selon les territoires.

Les intervenants ont présenté et questionné les mécanismes de solidarité territoriale : fonds de péréquation pour l’électricité comme le FACÉ (Fonds d’amortissement des charges d’électrification) et le FPE (Fonds de péréquation de l’électricité), absence de mécanisme pour le gaz mais logique de péréquation appliquée par les opérateurs, plutôt mutualisation à l’initiative des acteurs pour la chaleur et la mobilité…

Pascal Sokoloff a évoqué des exemples de projets portés par les syndicats d’énergie à la maille départementale, comme le déploiement de chaufferies bois et de réseaux de chaleur par le SIEEEN, dans la Nièvre.

Christine Gochard a explicité le fonctionnement de GEG en tant qu’Entreprise locale de distribution (ELD) : la métropole a réalisé un schéma directeur, auquel GEG a contribué, mais c’est la métropole qui est décisionnaire et qui a choisi la trajectoire énergétique de son territoire. GEG exploite des réseaux dans Grenoble mais aussi dans des communes rurales en Isère ou en Savoie, malgré son origine très urbaine. Certaines régies rurales, confrontées à des problèmes d’échelle face aux enjeux croissants de l’énergie, ont d’ailleurs fusionné avec GEG.

Jean-Baptiste Lebrun a rappelé que la transition énergétique n’allait pas assez vite et que le modèle devait évoluer en conséquence.

« La transition énergétique ne va pas assez vite. Même quand il y a une forte volonté politique des territoires, on peine souvent à trouver les modèles économiques, juridiques et techniques pour développer les projets à la hauteur de l’urgence. On peut donc poser la question : le modèle actuel, son ancrage territorial peut-il s’adapter à l’exigence de l’accélération de la transition ? Il y a une réconciliation à faire, une gouvernance équilibrée à trouver entre des opérateurs nationaux puissants, et les territoires avec leurs projets. »

Pour Pascal Sokoloff, l’initiative locale est bienvenue, mais l’urgence nécessite d’industrialiser la transition énergétique. Il a incité à regarder de manière pragmatique ce qui fonctionnait aujourd’hui.

« Pour changer d’échelle, il nous faut mettre en place des standards efficaces. L’architecture basée sur les métropoles et les syndicats d’énergie couvre bien le territoire et doit être renforcée. »

« L’initiative locale est bienvenue, mais il va falloir industrialiser la transition énergétique. »

Christine Gochard a souligné que la question était moins de remettre à plat le système, qui est « solide, et solidaire », que de se demander « où ça ne marche pas comme on le souhaiterait et pourquoi ».

« Aujourd’hui l’énergie est un sujet local, les gisements de production et d’économie sont locaux, il faut que les collectivités soient impliquées. Ce que je constate, c’est qu’à Grenoble, on avance vite sur la transition énergétique parce qu’il y a une volonté forte de la collectivité et un levier concret de mise en œuvre, à savoir la société d’économie mixte GEG. C’est une ELD et un opérateur industriel capable de mener des projets, de travailler avec les territoires, de lever des fonds. Il n’y a sans doute pas de solution universelle, mais plein de possibilités de mieux impliquer les collectivités. »

Jean-Baptiste Lebrun a ajouté qu’il ne s’agissait pas que d’une question de gouvernance, mais aussi d’affecter des moyens financiers aux projets qui concourent à la transition énergétique, et qu’il était nécessaire d’articuler les politiques territoriales avec la gestion des infrastructures.

« Il faut se pencher sur les ordres de grandeur. On a cité le FACé : c’est 400 millions d’euros par an de transfert des territoires urbains aux territoires ruraux. Le TURPE, que perçoit Enedis, c’est 13,5 milliards, dont 8 milliards consacré à des investissements dans les territoires, en principe dans une logique de péréquation. Sauf qu’aujourd’hui on ne sait pas quel est le calcul réalisé au sein de l’opérateur. On pourrait en affecter une partie à des projets décidés par les territoires, et notamment à des projets communs de solidarité interterritoriale voulus par les territoires eux-mêmes. »

« C’est un débat entre un modèle industriel et un modèle d’initiative locale. »

[Table-ronde] Solidarités urbain-rural : la parole aux élu-es

– Jérôme Fauconnier, Président de la Communauté de communes du Trièves, membre du réseau TEPOS

– Célia Blauel, Adjointe chargée de l’environnement et du développement durable à la mairie de Paris

– Louis Pautrel, Président de l’association des Maires ruraux d’Ille-et-Vilaine et Maire de la commune de Le Ferré

Les élus ont commencé par partager comment le quotidien de leur fonction et les ambitions qu’ils portaient pour leur collectivité.

Jérôme Fauconnier a décrit le contrat de réciprocité que le Trièves était en train d’élaborer avec la métropole de Grenoble.

« Nous ne sommes pas en concurrence avec Grenoble, ça a sans doute contribué à ce que notre territoire soit adapté pour ce partenariat. On fournit du bois à la chaufferie de Grenoble, et ça nous intéressait de réfléchir avec la métropole au renouvellement durable de la forêt. […] D’un autre côté, on a 30 % de notre population qui navette tous les jours vers Grenoble, et vient polluer la cuvette grenobloise. Même chose pour notre chauffage au bois. On a sans doute des choses à faire ensemble pour permettre à cette ville, qui est l’une des plus polluées de France, de changer un peu la donne en participant à ses actions. »

Louis Pautrel a souligné sa difficulté à mobiliser des financements en tant qu’élu rural d’une commune de 700 habitants, et a fait part de son inquiétude face à la hausse des coûts de déplacement.

Célia Blauel a décliné les enjeux forts auxquels la ville de Paris est confrontée dans sa stratégie 100% énergies renouvelables, et a insisté sur la nécessité pour tout élu-e de pouvoir s’appuyer sur une ingénierie.

« Ce qui nous relie en tant qu’élus, c’est que quand on s’attaque à la transition énergétique, on doit déplacer des montagnes. On doit rentrer dans les questions techniques, comprendre précisément de quoi on parle, et trouver des moyens. Et pour cela, il faut être bien entourés. »

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Les élus ont ensuite échangé sur les différences de fonctionnement entre collectivités urbaines et rurales et sur leur éloignement relatif. Jérôme Fauconnier en a témoigné.

« Dans notre collectivité, tout le monde se connaît. Quand on a commencé à travailler avec la métropole, on s’est retrouvé confrontés à différents niveaux hiérarchiques, différents services assez étanches les uns par rapport aux autres. On ne savait pas si l’information se transmettait et comment. »

Louis Pautrel a estimé que les représentants des territoires montraient une volonté de rapprochement, mentionnant la déclaration signé par Anne Hidalgo, maire de Paris avec des associations de territoires dont l’Association des Maires ruraux de France, pour un travail commun autour sur l’alimentation, l’énergie et les déplacements.

Célia Blauel a témoigné du changement d’approche qu’opéraient de plus en plus les collectivités urbaines.

« Les grands centres urbains qui avancent sur ces questions de 100 % renouvelables commencent à calmer le jeu des anciennes politiques de construction, d’accumulation et de concentration des richesses. Nous disons qu’au contraire, si l’on veut à nouveau respirer dans nos villes, si demain on veut retrouver un lien à la nature, il va falloir réfléchir à la manière dont nos richesses, surtout financières, vont pouvoir soutenir la non-désertification et l’activité des territoires ruraux. Il faut trouver un chemin positif et apaiser les relations, ça viendra par le dialogue et par le temps. »

Lors des échanges avec la salle, Eric Krezel, maire d’une commune de 650 habitants et président des maires ruraux de Haute-Marne, a toutefois relevé l’isolement sur le sujet que peuvent connaître les élus, notamment ruraux.

« J’ai trois petits barrages que je souhaiterais utiliser pour produire de l’énergie, mais quand j’ai sollicité un accompagnement, on m’a renvoyé vers l’agglomération, qui n’est pas autant mobilisée. Dans beaucoup de communes, on est prêts, et on est confrontés à un problème d’échelle. A qui s’adresser ? »

Pour Jérôme Fauconnier, s’y ajoute la question de la gouvernance et de la transparence, surtout en territoire rural quand le besoin d’ingénierie est fort.

« De l’ingénierie que les communautés de communes pourraient développer se retrouvent à un niveau supérieur sans qu’on sache qui en a décidé. Je me méfie des superstructures dont on ne sait plus qui prend les décisions. On aimerait parfois que l’argent mobilisé soit mieux partagé entre les opérateurs, et vraiment dédié à la transition énergétique. »

L’échange s’est conclu sur la nécessité pour les élus de se rencontrer davantage entre zones urbaines et rurales.

Les trois intervenants ont insisté sur le besoin de faciliter le dialogue. Louis Pautrel a donné l’exemple de la planification.

« Lors de l’élaboration de schémas à plus grande échelle, les territoires ruraux ne peuvent aller aussi vite que les métropoles, qui sont mieux dotées en ingénierie. Il ne nous reste qu’à nous adapter. »

« Il faut mieux se connaître, établir une relation de confiance. Se voir deux fois par an, c’est trop peu pour démarrer quelque chose. Et un peu de convivialité, ça ne fait pas de mal ! »

Pour Célia Blauel, un meilleur statut de l’élu local dans le monde rural pourrait permettre aux élus de se plonger dans des projets techniques. Elle a également appelé à une évolution du cadre de gouvernance et de financement actuel.

« Il y a urgence. Si on est cohérents avec la période, il faut un vrai acte de décentralisation en matière d’énergie. On ne s’en sortira pas dans le modèle tel qu’il est. Notre État est dépassé sur ces questions et si on veut être efficaces du global au local, il faut donner les moyens au local, et permettre l’émergence d’outils et de moyens de production dans les territoires. Ça veut dire aussi donner des moyens financiers. Autant que la fiscalité écologique aille dans les territoires alimenter la transition».

Publication

Nouvelles solidarités urbain-rural

Retrouvez l’étude du CLER – Réseau pour la transition énergétique qui a été présentée lors du colloque, avec de nombreux autres exemples de coopération.
28 pages. Novembre 2018.

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