Rénovation énergétique : les enjeux d’une loi d’accélération
Un grand nombre d’actrices et d’acteurs de la société civile s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’accélérer le rythme des rénovations performantes en France, en planifiant sur les moyen et long termes les progrès à réaliser et leur financement, via une loi sectorielle.
Danyel Dubreuil, Responsable de projets efficacité énergétique au CLER-Réseau pour la transition énergétique
Aujourd’hui, tous les experts s’accordent pour dire que la rénovation énergétique par gestes n’est pas efficace. Ce consensus scientifique doit désormais être transposé légalement, grâce à une politique publique cohérente et globale, robuste dans le temps, qui permet de s’émanciper des obsessions du moment, comme la pompe à chaleur d’aujourd’hui ou l’isolation à 1 euro d’hier. Cette loi d’accélération de la rénovation énergétique performante et solidaire que nous proposons, permettra d’organiser les efforts, palier par palier, d’encadrer les économies d’énergie dans le bâti, en se fixant des objectifs de résultats. Réglementer, c’est fixer une trajectoire nationale en cohérence avec la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la future Loi de programmation énergie-climat, à venir en 2023.
Alors que nous pouvons rénover 9 bâtiments sur 10 d’ici 2050, le financement de France Rénov n’est assuré que pour les treize prochains mois. Plusieurs goulots d’étranglement bloquent les rénovations : on manque de formations, d’accompagnement des ménages, de matériaux. Les filières de la rénovation énergétique – professionnels de l’isolation, de la ventilation, des huisseries – ont besoin d’une politique publique structurée ! Il est urgent de leur donner des perspectives en termes de rentabilité des investissements. La crise énergétique rend cette loi sectorielle absolument indispensable, et pourtant, l’exécutif semble incapable de sortir des mesures d’urgence conjoncturelles qu’il met en place. Il débloque 45 milliards d’euros pour prolonger le bouclier tarifaire pour soutenir les ménages et les entreprises en 2023, mais ne propose pas de solutions pour nous protéger durablement des variations du coût des énergies.
L’État appelle les Françaises et les Français à prendre leurs responsabilités pour économiser l’énergie à la veille d’un hiver qui s’annonce difficile. La somme de ces actions individuelles, qui ne reposent que sur le civisme ou la mobilisation de certains, permettra peut-être de réduire les consommations… mais ces économies seront ponctuelles et marginales. Les vraies réponses au besoin de sobriété dans notre pays sont encore à construire.
Corinne Le Quéré, climatologue, présidente du Haut-Conseil pour le climat
Le gouvernement a compris les enjeux de la rénovation énergétique du bâtiment, pas seulement pour le climat, mais aussi pour la reprise économique, le pouvoir d’achat. Des efforts ont déjà été faits et beaucoup d’argent a été débloqué en sortie de crise du Covid, notamment en faveur de la rénovation thermique via le plan de relance. Le Haut Conseil pour le climat préconise cependant un financement planifié sur le long terme, pour donner aux industriels la visibilité dont ils ont besoin pour investir. Il est important de redonner de la confiance au marché. La France doit maintenant combiner la planification et l’ingénierie financière. L’Union européenne, avec son Paquet Fit For 55, va nous aider à accélérer le mouvement en faveur de la décarbonation du secteur des bâtiments. Plusieurs exemples européens sont inspirants, comme nous l’avons montré dans un rapport en 2019 baptisé “Rénover mieux : leçons d’Europe”. La Suède par exemple est le seul pays ayant réussi une décarbonation quasi-totale du secteur des bâtiments. Ce succès repose sur un effort massif de long terme axé sur trois piliers techniques : une bonne efficacité énergétique des bâtiments, en particulier via une construction neuve performante, la décarbonation des vecteurs énergétiques pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire, via notamment le développement massif et continu des réseaux de chaleur en milieu urbain et péri-urbain, et la décarbonation de l’énergie primaire.
Hadrien Legallet, chargé de projet précarité énergétique au secours catholique
Le Secours Catholique accompagne les personnes en précarité énergétique, notamment via des aides financières. Nous observons depuis peu une accélération importante du phénomène, et notamment au niveau de nos accueils de jour, où les questions de pauvreté énergétique se font de plus en plus ressentir. L’État doit répondre à cette urgence sociale, et aider ces familles afin qu’elles n’aient pas à subir de privations. Augmenter le nombre de bénéficiaires du chèque énergie est une mesure indispensable, mais non pérenne. C’est pourquoi, la rénovation énergétique doit prendre le pas, si l’on veut prendre le problème à la racine, et permettre à chacun de vivre dans un logement sain et non énergivore. On l’a vu avec la loi de Transition énergétique qui visait la réduction de 15 % de la précarité énergétique en cinq ans : après son adoption en 2015, il ne s’est rien passé. Cette fois, pour vraiment améliorer les choses, il faut planifier les travaux de rénovation énergétique performante et globale, associée à des aides adaptées pour permettre aux plus précaires de réaliser des travaux. Pour cela, il faut réduire leur “reste à charge” après déduction des aides, car il représente encore aujourd’hui 30 à 40 % du coût global d’un chantier, ce qui est insurmontable pour des personnes qui vivent en dessous du Smic. Actuellement, le parcours de rénovation est un casse-tête pour tout le monde, mais il l’est plus encore quand on a de multiples difficultés dans la vie. L’accompagnement technique, financier et social des ménages est indispensable pour surmonter ces obstacles, et il doit être gratuit pour les plus précaires. Ma Prime Rénov’ Sérénité, qui s’adresse aux ménages modestes et très modestes, représente moins de 8 % des aides attribuées. C’est trop peu si l’on veut vraiment atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en France pour la rénovation énergétique des logements.
Jérôme Coulaud, Directeur des solutions immobilières à la Caisse d’Epargne Rhône Alpes
Pour accélérer la cadence, il me paraît urgent de donner plus de moyens aux espaces France Rénov’ afin qu’ils aient la capacité de répondre aux ménages en moins de 48h. Nous sommes en pleine crise énergétique et ils doivent attendre deux mois – parfois six – pour avoir des réponses à leurs questions… On les perd ! Il faut muscler les équipes sur le territoire pour accompagner les particuliers vivant dans des copropriétés ou des maisons individuelles et les rassurer.
D’autant que les obstacles sont nombreux. À commencer par l’audit énergétique obligatoire et parfois très cher. Sortir 1 500 euros dès le début de l’aventure… Pour beaucoup, c’est déjà bloquant. Cette somme devrait être prise en charge par l’État. Trouver des artisans RGE pour chacun des postes de travaux à réaliser ? C’est la jungle totale pour des personnes qui n’y connaissent rien ou des ménages fragiles. Les espaces France Rénov’ doivent avoir ce rôle de coordinateur qui met en lien les artisans, pilote le chantier. Mais ce n’est pas tout : le montage du dossier pour obtenir un éco-prêt à taux zéro est extrêmement compliqué. Il nécessite un grand sérieux car la demande de conformité est importante, le dossier très contrôlé et des amendes appliquées en cas d’erreur. En banque, nous devons souvent tout reprendre à zéro, et vérifier les garanties et assurances. C’est un parcours qui fait peur à tout le monde, les ménages comme les conseillers bancaires.
Vu la hausse des taux d’intérêt actuel, ce dispositif est pourtant indispensable pour le client qui veut se lancer dans des travaux de rénovation. Comment voulez-vous financer des rénovations globales qui coûtent 80 000 euros minimum, sans l’éco-ptz ? C’est impossible. Autour de lui s’articulent les aides complémentaires. Nous avons beaucoup travaillé pour trouver une façon de procéder fluide, conforme et efficace pour multiplier ces éco-prêts. D’ailleurs, nous en réalisons 30 % de plus que l’an dernier, et leur nombre devrait continuer d’augmenter. 1 400 collaborateurs de la Caisse d’Epargne ont été formés dans la Région à l’écosystème de la rénovation énergétique. Cahier des charges, financements fluides, prise en charge de l’audit et coordination des travaux sont indispensables pour déclencher de nombreux projets de rénovation globale !
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