Quel partage de la valeur pour les territoires de l’éolien en mer ?

Avec un objectif de 50 parcs au large du littoral français en 2050, l’éolien en mer est en plein essor. Indispensable à la transition de notre modèle énergétique, la filière industrielle doit se structurer, en embarquant les territoires et en créant des boucles vertueuses locales. Mais comment ?

Considérée comme une filière enfin mature, l’éolien en mer explose. Désormais compétitif, son coût (pour l’éolien posé tout du moins) se stabilise à 45 euros par mégawattheure (MWh) contre 142 euros en 2012. Portée par un vent marin plus fort, plus stable et plus régulier qu’à terre, les installations sont aussi de plus en plus puissantes : une capacité de 1500 MW est attendue pour des parcs actuellement en développement, trois fois plus que celle des parcs déjà installés (source : Éoliennes en mer, France). Lors des travaux sur la révision de la stratégie française pour l’énergie et le climat en juin 2023, le gouvernement a publié une trajectoire de déploiement de l’éolien en mer prévoyant la mise en service de 45 GW à l’horizon 2050 – soit presque l’équivalent du parc nucléaire français.

Un ticket d’entrée élevé

Deuxième gisement européen après la Grande-Bretagne, notre espace maritime compte désormais douze projets de parcs éoliens sur ces quatre façades (Manche Est Mer du Nord, Nord Atlantique Manche Ouest, Sud Atlantique, Méditerranée). Trois implantations industrielles sont déjà en service à Saint-Nazaire, Fécamp et Saint-Brieuc. Plus de dix sociétés se disputent désormais les marchés lors de la parution d’appels d’offres. “Face à cette croissance, il est indispensable de s’interroger sur la juste répartition de la valeur produite par les parcs avec les acteurs de l’énergie et les territoires côtiers, alerte Auréline Doreau, Responsable de projets Énergies renouvelables au réseau Cler. Pourtant, la taille des projets et les montants énormes en jeu semblent de fait mettre les territoires et les citoyens sur la touche. “Comment mettre le pied dans la gouvernance d’un projet localement si on n’a pas les moyens d’y investir ? Le ticket d’entrée est trop élevé pour les acteurs territoriaux.”

«Comment mettre le pied dans la gouvernance d’un projet localement si on n’a pas les moyens d’y investir ? Le ticket d’entrée est trop élevé pour les acteurs territoriaux.»

Auréline DoreauResponsable de projets énergies renouvelables

Le vent, un bien commun

Cette attractivité et les investissements prévus accroissent cependant les opportunités de développement économiques et portuaires localement. Selon l’observatoire des énergies de la mer, plus de 8000 emplois étaient mobilisés sur l’éolien en mer nationalement en juin 2023. Le Pacte éolien en mer (entre l’Etat et la filière) se fixant l’objectif d’atteindre 20000 emplois à l’horizon 2035. La fiscalité génère également des revenus importants : sur le domaine public maritime (jusqu’à 12 miles nautiques des côtes), le montant annuel de la taxe spécifique à l’éolien en mer s’élève à près de 20000 euros par mégawatt installé en 2024. Un montant réparti entre communes du littoral, comités des pêcheurs, office français de la biodiversité et organismes de secours et de sauvetage en mer. Plusieurs millions d’euros sur la durée de vie d’un parc éolien dont l’usage n’est pas fléché… par exemple pour soutenir des projets de transition écologique.

“Pourquoi ne pas utiliser cette somme pour créer une boucle vertueuse?” s’interroge Olivier Labussière, géographe chargé de recherche au CNR, à l’origine de l’observatoire Eolenmer, avec Alain Nadaï. “Le vent et le paysage sont nos ‘communs’. La fiscalité éolienne pourrait permettre de soutenir d’autres ‘communs’ sociaux ou environnementaux, imagine-t-il. Comme toute nouvelle technologie, elles doivent s’insérer dans un milieu – environnement, paysage, activités humaines – pour être pleinement opérationnelles. Un travail de négociation est donc obligatoire entre le développeur et les parties prenantes de ‘la valeur locale’ afin de créer des synergies. Cette approche va au-delà de la logique de marché et prend en compte les sciences sociales.” Au sein de l’observatoire Eolenmer financé par l’ADEME, cinquante chercheurs mènent des travaux jusqu’en 2026 pour explorer ces enjeux “bio socio spatiaux” – en étudiant les premiers parcs en exploitation.

«Le vent et le paysage sont nos ‘communs’. La fiscalité éolienne pourrait permettre de soutenir d’autres ‘communs’ sociaux ou environnementaux.»

Olivier LabussièreGéographe chargé de recherche au CNRS et membre de l’observatoire Eolenmer

Des appels d’offres à valeur locale ajoutée

Dans certaines régions, des Parlements de la mer ont été créés pour aborder ces questions localement comme en Occitanie, en Bretagne ou encore dans les Hauts-de-France. “Ces instances politiques et démocratiques à géométrie variable permettent de débattre des intérêts individuels mais aussi collectifs”, se réjouit Alain Nadaï. Ils posent également la question du rôle de l’État dans la coordination du déploiement de l’éolien. La direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) a le pouvoir d’imposer aux développeurs d’apporter des garanties dans le cadre des appels d’offres où la notion de partage de la valeur pourrait être intensifiée, précisée. “On voit que l’Etat tâtonne sur ces questions en modifiant le contenu à chaque nouvel appel d’offres”, observe le chercheur. Comme pour l’éolien terrestre, le recours à l’investissement participatif fait partie des conditions à remplir mais il ne représente que 2 % de l’ensemble des critères (c’est le cas par exemple de l’appel d’offres AO6 remporté par ENGIE via Ocean Winds fin 2024).

“Les enjeux sociaux et le développement territorial doivent être davantage pris en compte, estime Auréline Doreau. Mais il faut aussi aborder la question de la gouvernance de ces parcs et de la possibilité, pour les acteurs locaux, de participer à la prise de décision. Elle ne doit pas être laissée aux seules mains des développeurs.” D’autant qu’en France, il est difficile d’imaginer la structuration d’une coopérative nationale citoyenne capable, comme en Belgique avec Seacoop, de répondre et remporter un appel à d’offres de la Commission de régulation de l’énergie. Sans parc éolien en mer 100 % citoyen à l’horizon, comme il en existe dans les terres, il faut actionner d’autres leviers pour accroître le partage de la valeur locale des parcs offshore.

Le réseau Cler propose : 

– Que les appels d’offres envisagent d’autant plus la participation des collectivités ou des collectifs de citoyens au capital et/ou à la gouvernance des projets.

– De clarifier les règles de répartition de la valeur générée par l’éolien offshore, notamment à travers la taxe éolienne, sur les territoires littoraux concernés.

Pour aller plus loin : 

Replay du  webinaire – Eolien en mer : quel partage de la valeur des projets développés en France ? 

Projet Eolenmer

Seacoop – coopérative belge de coop citoyenne d’éolien offshore

Interview de Fabrice Collignon, vice président de Seacoop