« Pourquoi ne pas instaurer un coefficient régional tenant compte de l’ensoleillement ? »
Le syndicat francilien Sipperec porte des projets dans les énergies renouvelables. Il exploite aujourd’hui 74 centrales solaires et est très actif dans le développement des réseaux de chaleur et de la géothermie. Sabine Moreau, directrice du pôle Maîtrise de la demande en énergie et énergies renouvelables, témoigne des freins rencontrés sur le terrain et livre ses attentes vis-à-vis de l’Etat pour y remédier.
Quelle place le Sipperec accorde-t-il aux énergies renouvelables ?
Le Sipperec est un syndicat intercommunal créé pour suivre en Ile-de-France les contrats de concession du réseau électrique d’une soixantaine de collectivités de la petite couronne. C’était en 1924 et, depuis, nous avons aussi pris des compétences en télécommunications et dans les énergies renouvelables. Désormais, le syndicat couvre 114 communes : 90 adhérentes pour les télécommunications, 83 pour l’électricité et 76 pour les renouvelables. Dans ce domaine, nous avons débuté par le photovoltaïque à travers des transferts de compétences, c’est-à-dire de la maîtrise d’ouvrage déléguée pour piloter les travaux d’installations des centrales sur des bâtiments publics, souvent combinés à de l’isolation. Nous pouvons aussi accompagner les communes sans nous occuper directement des travaux. Troisième option, de plus en plus fréquente, reprendre en exploitation des installations existantes.
« Aujourd’hui, même en couplant avec des travaux d’isolation, on a de moins en moins de projets économiquement intéressants sur les petites puissances. »
Avec la baisse du tarif d’achat, il devient compliqué de trouver un modèle économique. Les communes peuvent se retrouver avec des installations construites, mais qui ne fonctionnent pas, parce qu’elles ne sont pas allées au bout de leur projet. Au total, le Sipperec exploite aujourd’hui 75 centrales solaires pour une capacité de 3 MWc et une production de 2,6 GWh/an. Ce sont surtout des installations en toiture de puissances inférieures à 100 kWc. Mais depuis 2016, la Région Ile-de-France nous a transféré sa compétence pour des projets de plus de 200 kWc. Nous rentrons avec ces unités dans le cadre des appels d’offres CRE (Commission de régulation de l’énergie). Une première centrale de 210 MWc sur un lycée neuf a été retenue à Saint-Denis.
Vu du terrain, comment se déroulent ces appels d’offres ?
Historiquement, les projets du Sipperec étaient plutôt sous le régime du tarif d’achat, dont le niveau est de plus en plus faible. Aujourd’hui, même en couplant avec des travaux d’isolation, on a de moins en moins de projets économiquement intéressants sur les petites puissances. Sur les appels d’offres, cela reste possible. Mais plus les sessions se succèdent, plus la concurrence est intense sur les critères économiques. Notre projet à Saint-Denis a été retenu à 10,9 centimes par kilowattheure. Sur les sessions suivantes, des projets à 9 centimes n’ont pas été sélectionnés. A chaque fois, les appels d’offres sont nationaux. Nous nous retrouvons en compétition avec des projets du sud de la France qui bénéficient d’un ensoleillement 20 à 25 % supérieur. En plus, nous sommes quasi-exclusivement sur des toitures d’établissements recevant du public (ERP), avec des contraintes réglementaires plus fortes.
Qu’attendez-vous de l’Etat pour développer plus de projets ?
L’Ile-de-France ne représente que 0,7 % des projets labellisés dans les appels d’offres pour les centrales sur bâtiments. Nous trouverions intéressant d’instaurer un coefficient régional tenant compte de l’ensoleillement. L’Etat pourrait aussi créer une catégorie réservée aux ERP pour une plus grande égalité sur les contraintes de sécurité. Et pourquoi ne pas créer une catégorie propre aux centrales au sol sur sites dégradés ? En Ile-de-France, ce serait un moyen de développer des projets sur d’anciennes friches.
Les freins sont-ils tous liés à l’équilibre économique des projets ?
Il y a aussi de petites contraintes qui peuvent dissuader des communes de se lancer. Par exemple, la Région Ile-de-France accorde des subventions pour les équipements. Depuis deux ans, elle impose aux villes qui souhaitent en bénéficier des quotas de stagiaires. C’est un moyen de s’assurer que les aides favorisent, non-seulement les renouvelables, mais aussi la formation professionnelle des jeunes franciliens. Autre exemple, Enedis demande désormais le dépôt d’une caution avant raccordement des unités de moins de 100 kWc. Les montants ne sont pas rédhibitoires, 360 à 1000 euros, et la somme est remboursée par EDF OA lors de la première année d’exploitation. Mais ces mesures peuvent être perçues par les communes comme des complications.
A part le solaire, à quelles filières le Sipperec s’est-il intéressé ?
Nous travaillons sur la méthanisation en Essonne, mais nous n’en sommes qu’au tout début. Par contre, le Sipperec a déjà quatre projets de géothermie avec réseaux de chaleur en service. Trois autres sont à l’étude. Notre installation type représente 12 km de réseaux à creuser, une production de 100 GWh et un investissement de plus de 30 millions d’euros.
Les communes sont-elles demandeuses ?
Nous sentons un vrai intérêt. Mais les signaux envoyés par l’Etat ne sont pas rassurants. C’est grâce au Fonds chaleur que nos centrales géothermiques ont pu être développées. Sur notre dernier projet de Grigny Viry-Chatillon, il a apporté 30 % d’aides à l’investissement. C’est un outil essentiel pour assurer la compétitivité par rapport au gaz. Aujourd’hui, nous avons de vives inquiétudes sur sa pérennité. Par le passé, il y a eu des annonces sur un doublement de son budget. Il n’a jamais eu lieu. Cette année, le dispositif a été maintenu, mais avec une légère baisse. Ce ne sont pas des signaux positifs à l’heure où les prix des énergies fossiles sont très bas. D’autant que l’on entend parler d’une transformation de l’aide en avance remboursable. Cela changerait la donne. Une subvention a un impact direct sur le prix de la chaleur alors qu’une aide remboursable peut certes aider à boucler un montage financier pour obtenir des prêts, mais elle ne répond pas à l’enjeu de compétitivité face au gaz. Le pire, c’est que nous ne savons pas si une telle évolution s’appliquerait aux projets en cours.
Tout de même, y a-t-il récemment eu une mesure positive ?
Oui, la hausse de la taxation du carbone, telle qu’instaurée par la loi sur la transition énergétique. La trajectoire aujourd’hui prévue va surenchérir les énergies fossiles. C’est très positif ! Cette mesure permet de limiter l’impact de la baisse du prix du gaz et offre un peu de visibilité.
Propos recueillis par Thomas Blosseville, journaliste.
Cet article est extrait du CLER Infos n°118
Partout en France, les acteurs de terrain racontent leurs difficultés à réaliser concrètement des projets d’énergie renouvelable. Montages financiers, réseaux électriques, dynamique partenariale… pour les aider, de nombreuses barrières doivent être baissées. Un cadre réglementaire qui encourage (et non qui freine) cette multitude de petits projets doit être bâti pour permettre aux collectivités, associations ou entreprises, de passer de l’envie à la réalité, de la parole aux actes. Et dans un même élan, accélérer la transition énergétique en France, dans tous les territoires (Mars 2018 – 20 pages).
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