« On ne fera pas disparaître les moteurs thermiques d’ici 2040 »
Selon Christian Couturier, président de l'association négaWatt, la voiture électrique ne révolutionnera pas le secteur des transports en France. En prenant en compte le cycle de vie des voitures actuelles, il plébiscite plutôt l'usage du bioGNV, une solution majeure pour envisager la mobilité de demain.
Comment les énergies renouvelables (EnR) peuvent-elles permettre de sortir des énergies fossiles dans le secteur des transports ?
Le scénario négawatt recherche quels pourraient être, dans chacun des secteurs étudiés et pour chacun des usages, les vecteurs énergétiques les plus appropriés. Dans les transports, nous avons identifié deux vecteurs qui se substituent aux énergies fossiles : le gaz carburant et l’électricité. Pour chacun d’entre eux, nous raisonnons en termes de services rendus dans différents types de territoires. En ville par exemple, le scénario ne prévoie plus aucun véhicule à moteur thermique pour les déplacements du quotidien en 2050, exceptés les véhicules lourds – bus, camions, bennes à ordures – qui rouleront au gaz.
Loin d’en faire une solution unique et universelle (voir encadré ci-dessous), le véhicule électrique, alimenté par des EnR, peut se développer de manière raisonnée pour les trajets urbains ou péri-urbains. Nous envisageons avec plus de prudence son développement en milieu rural. Le vecteur gaz lui est préféré pour la majorité des trajets effectués par les particuliers (à terme les ¾ des « voyageur-kilomètres » sont effectués grâce au gaz, le reste avec l’électricité). Ce vecteur alimente également la totalité du trafic routier de marchandises en 2050.
Ce n’est donc pas la fin des moteurs thermiques ?
D’ici 2040, il n’est ni souhaitable ni possible de faire disparaître les moteurs thermiques. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut utiliser un vecteur carboné comme le pétrole ! Il y a malheureusement une confusion dans le discours public entre les deux. Un véhicule à moteur thermique peut rouler grâce au gaz carburant. Pourquoi tout miser sur une seule source d’énergie, une technologie unique, un seul vecteur ? C’est une erreur que nous avons déjà fait dans le passé. Proposer deux types de véhicules est intéressant, en particulier pour les véhicules lourds pour lesquels il sera plus compliqué de basculer à l’électrique.
« Il est plus probable de parvenir à produire un gaz renouvelable en quantité suffisante pour faire rouler les voitures à l’avenir que de généraliser l’électromobilité »
Par ailleurs, les constructeurs automobiles auront moins de difficultés à se convertir au « gaz naturel pour véhicule » (GNV), car ce changement est moins impactant que de modifier toute la motorisation de leurs produits. Cette industrie repose sur un écosystème – des métiers, des fournisseurs, des sous-traitants, un savoir faire… – qu’il faut prendre en compte. La solution gaz permet une transition plus douce et évolutive que la révolution vers l’électrique. Elle paraît donc plus crédible.
Qu’est-ce que le bioGNV ou GNV ? Comment peut-il être produit à l’aide d’une énergie renouvelable ?
Les termes prêtent à confusion car le gaz naturel est une appellation exclusive du gaz fossile ! Aujourd’hui, l’utilisation du gaz renouvelable dans le secteur des transports est très marginale. Dans nos projections, il remplace la totalité du gaz fossile d’ici 2050 grâce à plusieurs technologies. Nous en fournissons grâce au biométhane d’origine biologique (produit à partir de la fermentation de déchets agricoles, ménagers, industriels…), au gaz de synthèse (produit par gazéification) et au gaz méthane qui vient de la méthanation (le power-to-gas ou la fabrication de méthane de synthèse obtenu à partir d’hydrogène, lui-même produit à partir d’électricité).
Il y a également l’option de l’hydrogène, très intéressant en tant que vecteur énergétique intermédiaire, mais moins en tant que vecteur final pour des raisons pratiques : le développement des infrastructures nécessaires pour un usage massif de l’hydrogène en usage final prendra probablement beaucoup de temps. Encore une fois, le méthane comme vecteur principal nous paraît à la fois plus crédible et plus simple.
Comment son usage pourrait-il se massifier ?
Il est plus probable de parvenir à produire un gaz renouvelable en quantité suffisante pour faire rouler les voitures à l’avenir que de généraliser l’électromobilité. Des exemples de massification du gaz naturel à l’usage de la voiture existent dans le monde (contrairement à l’hydrogène). D’une part, les technologies citées ci-dessus sont connues et maîtrisées. Déjà une quarantaine d’installations de bio-méthane injectent sur le réseau en France, la filière est désormais lancée. Des pilotes en fonctionnement testent la gazéification, qui sera disponible au déploiement à moyen terme, d’ici une quinzaine d’années. Enfin, la méthanation se développe, car elle a l’intérêt d’utiliser les surplus électriques. Bien synchronisée au réseau, elle ne posera pas de problèmes en termes quantitatifs.
D’autres parts, ces technologies ont leur soutien : certaines organisations comme GRDF s’intéressent positivement au sujet. Malheureusement leur force de frappe médiatique est moins importante que celle des électriciens. Les constructeurs de poids lourds également : pour eux, l’utilisation des véhicules bioGNV pour entrer dans les villes représentent une solution qu’ils plébiscitent. Quant à l’Etat, il doit mettre en place une fiscalité adaptée et les systèmes d’approvisionnement et de distribution nécessaires. Les plans qui sont actuellement échafaudés ne vont pas assez vite, ni assez loin.
Le véhicule électrique permet-il de réduire les émissions de CO2 ?
Un fort développement du véhicule électrique est envisagé par les pouvoirs publics français dans les prochaines années. La loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte prévoit l’installation de sept millions de bornes de recharge d’ici 2030. L’attrait pour ce type de véhicule s’inscrit dans un objectif de lutte contre le dérèglement climatique, car il est considéré comme peu émetteur de CO2. Mais qu’en est-il réellement ? Quelles sont les émissions de gaz à effet de serre des véhicules électriques ? Justifient-elles le fort développement envisagé ? Pour mesurer l’impact sur les émissions de CO2 d’un déploiement du véhicule électrique, il est nécessaire d’analyser son cycle de vie complet, depuis sa fabrication jusqu’à sa fin de vie, en incluant toute sa période d’utilisation. Au cours de l’usage, les émissions de CO2 générées dépendront des moyens de production d’électricité mobilisés par le rechargement des batteries, de la performance intrinsèque du véhicule (sa consommation) et du rendement du chargeur. En France, un parc de quelques centaines de milliers ou d’un million de véhicules électriques pourrait être alimenté par les moyens de production d’électricité actuels. Mais le déploiement de plusieurs millions de véhicules électriques nécessiterait la mise en place de nouveaux moyens de production. Au vu des politiques publiques menées actuellement, le développement des énergies renouvelables ne suffirait pas à répondre à cette hausse de la demande, et des énergies fossiles seraient nécessaires en complément. Rien ne permet donc d’affirmer aujourd’hui qu’un déploiement massif du véhicule électrique permettrait une réduction notable des émissions de CO2. Seule une politique ambitieuse de réduction de la consommation d’électricité et de soutien aux énergies décarbonées permettrait d’envisager des véhicules électriques relativement sobres en carbone, sans qu’ils soient totalement vertueux : la fabrication des batteries entraîne en effet d’inévitables et non négligeables émissions de gaz à effet de serre.
Lire l’article complet sur le site decrypterlenergie.orgCet article est extrait du CLER Infos n°116
Moteurs d’une société en mouvement, les transports sont responsables d’un tiers de nos consommations d’énergie et polluent l’air que nous respirons. Pourtant, aucune législation structurante n’a permis jusqu’à aujourd’hui d’aborder le thème de la mobilité en cohérence avec l’urgence de la transition énergétique. Qu’attendre du nouveau mandat présidentiel sur ce sujet ? Comment réduire le trafic routier et diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports ? Comment convaincre les territoires d’agir pour favoriser la mobilité autrement ? Un dossier à retrouver dans le CLER Infos n°116.
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