Nouveau rapport alarmant du Haut Conseil pour le Climat
Publié le 3 juillet 2025, le 7e rapport du Haut Conseil pour le Climat dresse un bilan sévère de la politique climatique française pour l’année 2024. Décryptage avec Anne-Lorène Vernay, enseignante-chercheuse de la Chaire Energy for Society de Grenoble École de Management.
Quels sont les enseignements sur la transition énergétique du rapport du Haut Conseil pour le Climat ?
Anne-Lorène Vernay : La première chose, c’est qu’on a un net recul dans la diminution des émissions de CO2, avec une baisse de 1,8 % en 2024, loin des objectifs fixés (environ 6 % par an). Les principaux enseignements sont là : un gros retard sur le transport où la diminution des émissions patine, idem dans l’agriculture et les déchets. Le rapport insiste sur le stop and go du gouvernement. Cette absence de stabilité est funeste pour les entreprises et les élus locaux. Il y a un décalage entre ce que dit le politique et la réalité industrielle, qui mène à des incohérences dans des choix politiques néfastes.
Quelles dynamiques expliquent ce ralentissement de la baisse des émissions ?
A-L V : Ce n’est pas qu’en France, on est dans un contexte international de backlash, de stratégies court-termistes. Il y a des choses qui fonctionnent comme MaPrimeRénov’ sur lesquelles on revient pour faire des économies. On est aussi dans un contexte où les politiques ignorent les faits scientifiques. Les travaux sur l’acceptabilité sociale des infrastructures énergétiques montrent qu’il a beaucoup de dogmatisme contre les énergies renouvelables et l’énergie solaire. Je pense que les politiques n’ont pas le courage d’expliquer et d’adopter une position qui va demander des compromis et de vivre autrement.
Pourra-t-on atteindre les objectifs climatiques de 2030 sans rupture de notre modèle ?
A-L V : J’aurais tendance à dire que non. Dans son document, le Haut Conseil pour le Climat accorde une place de taille à l’adaptation. Il va falloir s’adapter aux feux, aux chaleurs, au manque d’eau. On n’y arrivera pas sans changer de modèle. Changer de modèle signifie aussi changer de valeurs. Je pense que nous ne sommes n’est pas encore prêts à ce changement de paradigme.
Quels leviers d’efficacité énergétique permettraient d’accélérer la décarbonation des grands secteurs émetteurs ?
A-L V : Un des leviers va être l’usage des outils numériques pour mieux suivre et gérer un processus industriel : capteurs installés dans une usine pour mesurer, intelligence artificielle pour faire des prédictions. Dans le secteur du ciment très émetteur, on va pouvoir optimiser, mais cela ne fera gagner que 10 %. Être efficace c’est bien mais il faut aller plus loin, construire autrement, favoriser l’éco-conception, le réemploi, le recyclage de matériaux et à la fin, repenser le modèle. Il faut aussi travailler sur les transports en commun, la fonctionnalité plutôt que l’achat de produits.
Quels sont les investissements « à effet rapide » qui pourraient contribuer à inverser la tendance dès 2026 ?
A-L V : Il faut repenser la manière dont les secteurs sont taxés pour moins donner de subventions aux énergies fossiles. L’argent doit aller vers les infrastructures qui accompagnent la baisse des émissions, le train, les infrastructures vertes, la production d’énergies renouvelables, les bornes de charge. Un chantier qui me paraît crucial pour contrebalancer la désinformation, c’est la formation des élus à ces enjeux à un niveau qui soit cohérent par rapport à leur pouvoir de décision. Il faut aussi renforcer tout ce qui est taxation aux frontières pour le carbone.
Quelles mesures pourraient apporter une cohérence réelle entre sobriété, efficacité et décarbonation ?
A-L V : Le Haut Conseil pour le Climat note le besoin d’être plus fin dans la manière dont on pilote à l’échelle nationale, régionale et communale. Penser de manière décentralisée permettra d’avoir des réponses cohérentes. Les politiques publiques partent du principe qu’on a un système fossile et qu’en changeant quelques technologies, on aura un système bas carbone. Cela ne peut pas marcher parce que quelle que soit l’énergie, elle a une empreinte carbone. Donc la première chose à faire, c’est d’en faire moins. Enfin, la transition doit se faire de manière juste. Il faut faire participer les citoyens pour décider ensemble vers quel modèle de société on a envie d’aller et pourquoi.