Narbonne attend sa centrale solaire territoriale

Des citoyens à la région Occitanie, un collectif d’acteurs locaux s'est constitué autour d’un projet de centrale solaire à Narbonne. Un riche processus de co-développement dont l'aboutissement ne dépend plus que de l'issue d’un recours en justice.

Encore un peu de patience. « Nous avons obtenu le permis de construire début 2017, mais des opposants ont déposé un recours et le projet est aujourd’hui suspendu à la décision du tribunal administratif. » Frédéric Petit est responsable de l’agence Valorem de Carcassonne. Le développeur d’énergies renouvelables a dû reporter de plusieurs mois la construction de la centrale solaire du projet Soleil Participatif du Narbonnais. L’installation devait démarrer cette année, mais le projet a été attaqué en justice. Les opposants arguent d’une discontinuité de l’urbanisation contraire à la loi littoral. Simple contretemps ? L’initiative aura, en tout cas, permis à tout un territoire de monter en compétence.

Projet territorial multi-énergies

Tout a commencé en 2009 avec des craintes de pollution liées au site nucléaire Areva de Malvesi et le rachat, par l’industriel, d’un terrain agricole jouxtant son usine. Par précaution, la production alimentaire y est stoppée. A la place, l’ancien exploitant agricole propose un projet territorial multi-énergies avec une dimension citoyenne, et pour commencer, une centrale photovoltaïque au sol de 12 MW, dont 5 MW avec traqueurs solaires. L’investissement de 14,5 millions d’euros doit permettre de produire 18,3 GWh/an. Les revenus générés sont censés financer d’autres volets du projet comme des essais de culture de biomasse énergétique et une maison d’accueil pour la sensibilisation du grand public aux renouvelables. Un temps envisagée, la piste éolienne est finalement abandonnée.

« Côté gouvernance, chacun possédera une voix, quelle que soit sa part au capital. »

En 2014, le projet décolle vraiment avec la création de l’association Energies Participatives du Narbonnais (EPN). L’Agglomération du Grand Narbonne vient alors d’adopter son plan climat, « dont l’une des actions prioritaires était de soutenir un projet de portage coopératif et/ou public de production d’énergie renouvelable », retrace Arnaud Fanlou, responsable transition énergétique du Grand Narbonne. D’autres acteurs locaux se greffent au projet et, peu à peu, un collectif territorial se monte. Sa taille, plutôt grande, est l’une des spécificités et des contraintes de l’initiative. Au sein d’EPN, on retrouve : l’Agence locale de l’énergie Pôle Energies 11, la Chambre d’Agriculture, Areva, le Grand Narbonne, le Syndicat d’énergie Syaden, la Coopérative agricole Arteris, le Parc naturel régional de la Narbonnaise en Méditerranée et la société Ella Energies fondée par l’agriculteur à l’origine du projet.

Un capital de 350 000 euros

Ce collectif n’est que le premier étage du dispositif. En 2014, un appel d’offres est lancé pour la construction de la centrale solaire. Enercoop intervient comme assistant à maîtrise d’ouvrage. Le fournisseur d’énergie cherche alors « à faire émerger de nouveaux projets dans les renouvelables, et non plus seulement à acheter l’électricité à des producteurs », se souvient Guillaume Marcenac, responsable du pôle production d’Enercoop dans la région. Valorem est choisi. « Son offre économique était crédible. Il avait des équipes à proximité et une expérience des projets participatifs », résume Guillaume Marcenac.

Valorem prend alors le relais pour répondre avec succès à l’appel d’offre national CRE3. Une société de projet est créée pour développer et exploiter la centrale : Soleil Participatif du Narbonnais (SPN) (à ne pas confondre avec l’association Energies Participatives du Narbonnais qui regroupe les acteurs locaux à l’origine de la démarche). Dans un premier temps, la société de projet possède un capital de 350 000 euros, détenus à 75 % par Valorem, 16 % par la société d’aménagement du Grand Narbonne Alenis et 9 % par l’association EPN. Mais dans la perspective de la phase d’investissement, il est prévu de faire évoluer le pacte d’associés.

A terme, le capital sera de 2,5 millions d’euros. Valorem en détiendra 50 %. Le reste sera partagé entre les acteurs locaux : 16 % pour Alenis, 10 % pour le syndicat d’énergie Syaden, 10 % pour la SAS régionale MPEI, 1,5 % pour Ella Energie et 1 % pour l’association EPN. Enfin, 11,5 % sont réservés à l’investissement participatif, via une société citoyenne à créer. Soit sept actionnaires. Côté gouvernance, chacun possédera une voix, quelle que soit sa part au capital.

Une diversité d’acteurs complexe

Cette diversité d’acteurs n’a pas simplifié les discussions qui se sont parfois compliqués, par exemple, sur la place à accorder aux citoyens. Investissement via une plateforme en ligne ou mobilisation locale plus concrète ? Le débat au sein même du groupe des acteurs du territoire a pu être vif et difficile, les intérêts de chacun étant parfois divergents et la disponibilité aléatoire. Il a donc fallu bien définir le rôle de chacun, consacrer du temps au projet et soigner la communication. « Replacez-vous dans le contexte. La notion de projet territorial et participatif était alors peu développée en France », relativise Arnaud Fanlou. Un avis partagé chez Enercoop, à qui le projet a permis d’initier une activité d’assistance à maîtrise d’ouvrage et de concevoir une méthode de co-développement où l’on n’oppose pas citoyens et développeur. Chez Valorem, on le reconnaît volontiers : le modèle n’est pas forcément réplicable partout, mais « il a permis de défricher le sujet », estime Frédéric Petit.

Reste à lever les dernières incertitudes judiciaires. D’abord, pour boucler le financement, notamment les 11 millions d’euros d’emprunts. Ensuite, pour obtenir l’aide attendue du dispositif régional qui octroie un euro de subvention pour un euro d’investissement citoyen. Cette aide ne sera accordée qu’après la campagne de financement participatif, elle-même suspendue à la décision du tribunal. Encore un peu de patience…

Par Thomas Blosseville, journaliste

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Cet article est extrait du CLER Infos n°118

Partout en France, les acteurs de terrain racontent leurs difficultés à réaliser concrètement des projets d’énergie renouvelable. Montages financiers, réseaux électriques, dynamique partenariale… pour les aider, de nombreuses barrières doivent être baissées. Un cadre réglementaire qui encourage (et non qui freine) cette multitude de petits projets doit être bâti pour permettre aux collectivités, associations ou entreprises, de passer de l’envie à la réalité, de la parole aux actes. Et dans un même élan, accélérer la transition énergétique en France, dans tous les territoires. Un dossier à retrouver dans le CLER Infos n°118.

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