Loi Gremillet : le naufrage de la politique énergétique française
L’Assemblée nationale a rejeté le 24 juin à une large majorité la proposition de loi Gremillet, « portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie ». Ce texte, qui doit poser les bases de la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), repasse au Sénat début juillet. Mais est-il à la hauteur des enjeux ? Décryptage avec Etienne Charbit, responsable de projets Europe et Auréline Doreau, responsable de projets énergie et territoires au réseau Cler.
Quels sont les grands axes de la proposition de loi Gremillet ?
Etienne Charbit : Le texte de la loi Gremillet porté par le Sénateur Daniel Grémillet vise à combler l’absence de loi de programmation énergie-climat que le Gouvernement devait faire adopter d’ici mi-2023 conformément aux engagements pris dans la loi « Énergie-Climat » de 2019. Cette initiative parlementaire se veut ainsi une réponse pour cadrer la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), outil stratégique de la politique énergétique française. Cette proposition de loi touche donc à plusieurs volets de la planification énergie-climat de la France à l’horizon 2035 : trajectoire des émissions de gaz à effet de serre, mix énergétique, efficacité énergétique, etc.
Cette proposition de loi est-elle un véritable recul par rapport aux objectifs européens ?
EC : Oui, en particulier sur les objectifs de développement des énergies renouvelables. L’Union européenne a adopté un objectif d’au moins 42,5 % d’énergies renouvelables dans sa consommation finale d’énergie en 2030. La France souhaite, quant à elle, atteindre au moins 44%. Or, le texte ne détaille ni objectif (seule une cible exprimée en “énergie décarbonée” est indiquée), ni trajectoire permettant d’atteindre l’objectif européen.
Mais la proposition de loi se démarque surtout par son orientation marquée en faveur de la relance du nucléaire (objectif de 14 nouveaux réacteurs nucléaires engagés d’ici 2030), en faisant l’impasse sur le nécessaire développement massif des énergies renouvelables. Des objectifs coûteux et irréalistes pour accélérer l’électrification des usages, alors que les nouveaux réacteurs nucléaires n’arriveront pas, au mieux, avant 2038.
Si le texte issu du Sénat était déjà très problématique sur le volet production de l’énergie, la version rejetée par l’Assemblée nationale était désastreuse à tous points de vue : moratoire sur l’éolien et le photovoltaïque, baisse de l’objectif d’efficacité énergétique d’ici 2030, régressions majeures sur la rénovation des passoires énergétiques… Ce texte était une traduction de la politique énergie-climat de la France vue par la droite et l’extrême-droite qui étaient majoritaires au moment du vote sur la plupart des amendements à l’Assemblée nationale.
Quel est l’avenir pour les énergies renouvelables ?
Auréline Doreau : Le texte proposait en vote solennel à l’Assemblée nationale un moratoire sur l’éolien et le photovoltaïque, qui va à l’encontre de tous les scénarios d’atteinte de la neutralité carbone (RTE Réseau de Transport d’Electricité, ADEME, Association négaWatt, The Shift Project…), alors que les nouveaux réacteurs nucléaires n’arriveront pas, au mieux, avant 2038. Ce moratoire, révélant une méconnaissance manifeste des enjeux énergétiques de la part des députés l’ayant initialement voté, a heureusement été rejeté le 24 juin par les députés de gauche et du bloc central qui étaient cette fois-ci au rendez-vous.
Cependant, l’avenir n’est pas radieux pour les énergies renouvelables car des reculs sont en cours notamment sur la solarisation des bâtiments et le soutien aux projets photovoltaïques. Par ailleurs, la PPE 3, qui devait fixer un cap pour les renouvelables, a déjà presque plus de 2 ans de retard mais le ministre, Marc Ferracci, a indiqué qu’il fallait que la proposition de loi Gremillet devait faire converger les avis du parlement avant publication de cette feuille de route. La France verrouille ainsi sa dépendance aux énergies fossiles importées qui est déjà de 60 milliards d’euros par an.
Que propose le réseau Cler sur les énergies renouvelables citoyennes ?
AD : Avec le Réseau Action Climat (RAC), le réseau Cler et d’autres membres du Collectif pour les énergies renouvelables territoriales ont proposé un amendement pour fixer un objectif clair et ambitieux de développement des énergies renouvelables citoyennes (toutes filières confondues) : 5 TWh en 2030, à comparer aux 426 projets existants répondant au label Énergie Partagée en 2025, représentant 1,7 TWh.
Malheureusement, cet amendement a été rejeté, alors que les énergies renouvelables citoyennes favorisent un meilleur partage de la valeur créée grâce à des retombées économiques locales significatives. Nous continuerons de pousser les mesures répondant à un partage de la valeur important des énergies renouvelables, notamment grâce à l’élaboration d’un fond de soutien aux projets locaux, comme le laisse imaginer l’article 93 de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, aujourd’hui non traduit en décret d’application.
Quelles sont les prochaines étapes pour la loi Gremillet ?
EC : Le texte passe en seconde lecture au Sénat début juillet mais, étant donné le vote négatif de l’Assemblée nationale, il sera examiné dans sa version votée en première lecture. Bien que les dispositions les plus controversées comme le moratoire sur le solaire et l’éolien devraient être écartées, il faut s’attendre à de nouveaux reculs pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
Enfin, le Gouvernement a confirmé attendre la fin des débats sur le texte pour publier la PPE, ce qui devrait donc ajouter quelques mois pour un texte ayant déjà des années de retard. Un nouveau délai très préoccupant qui deviendrait catastrophique en cas de chute du gouvernement avant la fin de son examen.