Loi énergie climat : quelle participation citoyenne ?

Professeur de sciences politiques à l’université de Paris VIII, Yves Sintomer s’intéresse particulièrement dans ses travaux à la démocratie participative et délibérative et aux mutations de la représentation politique. Pour Notre énergie, Il se penche sur la place de la démocratie participative dans l’élaboration de la prochaine loi Énergie et climat.

Qu’est-ce que la démocratie participative ?

Il n’existe pas de définition consensuelle. Chaque définition est une prise de parti, la mienne n’échappe pas à cette règle. De mon point de vue, la démocratie participative, c’est lorsque des citoyens participent directement à la prise de décision sur des thèmes d’intérêt public. Les budgets participatifs, tels qu’ils sont pratiqués par des villes françaises, en proposant aux citoyens de hiérarchiser des projets qui sont ensuite financés sur fonds publics, en sont un bon exemple. L’adoption du mariage pour tous et la légalisation de l’avortement en Irlande en est une autre illustration, avec la constitution d’une assemblée citoyenne puis l’organisation d’un référendum sur les propositions de celle-ci.

La concertation nationale sur notre avenir énergétique qui vient de s’achever a réuni un échantillon représentatif de 200 jeunes tirés au sort. Est-on dans un exercice de débat public ?

Dans le cas des conventions citoyennes, pour le climat ou sur la fin de vie, ou pour le forum des jeunesses de la concertation sur le mix énergétique, il s’agit de participants tirés au sort et qui constituent un échantillon représentatif. Les débats publics sont, quant à eux, ouverts à tous. Ils mobilisent des groupes d’intérêt, des citoyens concernés, qui veulent peser sur le débat, là où les échantillons représentatifs n’ont ni compétences ni intérêts particuliers. Autre différence, là où le débat public n’exige aucune formation des participants, les conventions citoyennes s’appuient sur des auditions d’experts, de parties prenantes pour faire monter en compétence les participants, afin d’approfondir les délibérations. On gagne ainsi en intensité ce qu’on perd en nombre de participants. La concertation sur la loi énergie climat mélange un peu les genres. Il s’agit au mieux d’un exercice de démocratie délibérative, au sens anglo-saxon, c’est-à-dire d’un exercice de débat. C’est ce qui est arrivé à la Convention citoyenne pour le climat : en détricotant largement ses propositions au lieu de les transmettre « sans filtre » pour les faire appliquer, le Gouvernement a transformé une expérience participative et délibérative forte en une consultation sur le thème du climat. En France, ce qui s’appelle participation citoyenne est généralement réduit à un rôle consultatif.

Comment distinguer une consultation du public d’une opération de communication politique ?

Un débat public sincère implique de nombreuses compétences en organisation, en animation et doit fournir des garanties d’impartialité. Est-ce une instance indépendante qui organise la concertation sur le mix énergétique ?

S’il s’agit de lancer un véritable débat national sur la loi énergie climat est-on certain d’avoir mobilisé tous les relais, fait connaître les enjeux ?

Par ailleurs, on peut légitimement s’étonner du calendrier de cette concertation organisée par le ministère de la Transition énergétique en parallèle du débat public sur la construction de réacteurs EPR2  organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP). Cela donne l’impression que les choses sont déjà tranchées et que la concertation n’est finalement qu’une mise en scène. Trop souvent, les consultations mises en avant sont découplées des prises de décisions, qui demeurent verticales. Que la question sur le nucléaire ne soit pas posée dans le cadre du débat sur « notre avenir énergétique » est presque scandaleux. L’idée serait-elle de faire participer sur le détail pour ne pas aborder les questions principales ?

Comment développer la coopération et notre capacité à faire du débat public un outil démocratique ?

La Convention citoyenne sur le climat aurait mérité d’être prise au sérieux. Ses propositions étaient ambitieuses. Il aurait fallu les mettre en œuvre en soumettant certaines d’entre elles, les plus clivantes, à un référendum. Tout comme l’instauration du référendum d’initiative citoyenne, coupler les conventions citoyennes, les assemblées législatives et l’ensemble des citoyens consultés par référendum garantirait que ceux-ci participent à l’élaboration des normes auxquelles ils doivent se soumettre. Je plaide pour que les citoyens participent directement à la prise de décision. Aujourd’hui, en général, on leur demande seulement d’éclairer la décision publique. Avec le risque que leur avis, comme celui des experts, soit simplement ignoré.

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