Logements bouilloires : petits gestes et grands travaux

Alors que les vagues de chaleur s’allongent et se multiplient, le réseau Cler alerte sur l’urgence de mettre en œuvre des politiques de rénovation ambitieuses pour rendre les étés habitables. Rencontre avec Damien Barbosa, coordinateur du collectif Rénovons, et Aurélien Breuil, co-animateur du réseau RAPPEL.

Pourquoi les logements ne sont-ils plus adaptés aux chaleurs estivales ?

Damien Barbosa : Plus de la moitié des ménages déclarent avoir eu trop chaud chez eux l’été dernier, et un tiers des logements ne sont pas adaptés à la chaleur. Or nos bâtiments ont été pensés pour le froid, pas pour le chaud.

Aurélien Breuil : Cette inadaptation frappe d’abord les plus vulnérables : étudiants logés sous les toits, habitants des quartiers prioritaires de la ville dans des logements surchauffés, personnes âgées ou familles monoparentales. On retrouve les mêmes logiques que pour la précarité énergétique d’hiver, avec une forte corrélation entre revenus et qualité du logement. Ce constat doit alerter sur l’urgence à agir, car les vagues de chaleur vont se multiplier et s’étendre de mai à octobre.

Quelles sont les limites des politiques actuelles ?

A.B. : Les politiques publiques restent centrées sur le confort d’hiver. L’Anah commence à financer des brasseurs d’air, ces appareils électriques qui font circuler l’air dans une pièce pour améliorer la ventilation et procurer une sensation de fraîcheur. Les solutions techniques comme les volets, brise-soleil ou matériaux à fort déphasage (capables de ralentir la transmission de la chaleur) ne sont pas encore pleinement reconnues ni financées.

D.B. : En sus des insuffisances en matière de prise en compte de la chaleur, le gouvernement détricote la politique publique de rénovation énergétique dans son ensemble. La révision du coefficient de conversion va exclure 850 000 logements du statut de passoire thermique, et le bonus « sortie de passoire » inclus dans MaPrimeRénov’ est en danger. Si on le supprime, le reste à charge des ménages modestes va exploser et le passage à l’acte sera freiné. Alors que les travaux de rénovation énergétique demeurent l’un des piliers de la lutte contre la surchauffe dans l’habitat, ces dispositions vont éloigner les ménages du confort thermique.

« La rénovation performante est la seule véritable solution efficace pour rendre les étés vivables. »

Damien BarbosaCoordinateur du collectif Rénovons au réseau Cler

Quels gestes immédiats peuvent ­améliorer un peu le confort dans les logements bouilloires ?

A.B. : Il y a des solutions de sobriété, qui sont à la portée de tous : éviter de cuisiner aux heures chaudes, ne pas utiliser de sèche-linge ou d’appareils produisant de la chaleur, fabriquer un brise-soleil avec une couverture de survie. Nous encourageons aussi l’usage de ventilateurs ou de brasseurs d’air efficaces énergétiquement. Ce sont des « pansements », mais ils apportent un soulagement immédiat.

D.B. : L’impact de ces dispositifs demeure néanmoins limité. On ne peut pas compter uniquement sur des gestes individuels pour affronter des vagues de chaleur qui deviennent structurelles.

Quelles solutions plus ­puissantes déployer ?

D.B. : La vraie réponse, c’est une rénovation performante qui intègre les problématiques liées à la chaleur. On doit adapter les dispositifs existants, renforcer les budgets de l’Anah et maintenir le bonus « sortie de passoire ». La question du reste à charge est cruciale : sans aides suffisantes, les ménages les plus modestes ne peuvent pas entreprendre de travaux efficaces. Nous devons changer de culture, repenser l’urbanisme et la manière dont nous construisons, pour que la fraîcheur devienne un critère de base, au même titre que l’isolation contre le froid.

A.B. : Il faut aussi déployer des solutions techniques plus ambitieuses : brise-soleil extérieurs, isolation des parois avec des matériaux à fort déphasage thermique, amélioration de la ventilation, etc. Les réseaux de froid et les pompes à chaleur réversibles peuvent jouer un rôle important.

« Les vagues de chaleur vont se multiplier, mais les politiques publiques restent centrées sur le confort d’hiver. »

Aurélien BreuilCoanimateur du réseau RAPPEL

Le réseau des acteurs contre la pauvreté et la précarité énergétique dans le logement (RAPPEL) et le collectif Rénovons sont animés par le réseau Cler.

Passoire thermique vs bouilloire thermique

Une passoire thermique désigne un logement énergivore, classé F ou G au DPE. En hiver, la chaleur créée par des appareils de chauffage s’échappe à cause d’une mauvaise isolation. Une consommation d’énergie excessive est nécessaire pour offrir un confort thermique raisonnable. C’est l’inverse dans une bouilloire thermique : lors des épisodes de chaleur, la température monte jusqu’à rendre le logement inhabitable. Les efforts liés au refroidissement engendrent des factures élevées. En été, de nombreuses passoires se transforment en bouilloires mais l’inverse n’est pas systématique.