L’échelle locale : un laboratoire de la démocratie participative
Nantes, Grenoble, Nancy… Partout en France, les collectivités territoriales organisent des conventions citoyennes locales dans le cadre de l'élaboration d’un plan climat-air-énergie. Un processus délibératif qui pose la question de la mobilisation de long terme des habitants. Retour sur l’expérience de la Communauté d'agglomération Est Ensemble en Île-de-France.
En septembre 2021, une centaine de citoyennes et citoyens habitant les communes de Bagnolet, Montreuil, ou encore Bondy font leur rentrée des classes. Ils participent à la session inaugurale de la Convention citoyenne locale pour le climat et la biodiversité de leur communauté d’agglos. Ensemble, pendant plusieurs mois, ils vont prendre part à un dispositif de démocratie participative en débattant et proposant des réponses concrètes aux défis climatiques, en tenant compte des impératifs de justice sociale du territoire.
Avec 32 % de ménages en situation de précarité énergétique, 29 % de la population sous le seuil de pauvreté et quelques 6 m² d’espaces verts accessibles par habitant, le territoire populaire d’Est Ensemble entend ainsi s’engager “dans une transition écologique et démocratique concrète et solidaire qui ne peut plus attendre », lance Patrice Bessac, le président d’Est Ensemble, lors du coup d’envoi.
Un panel de citoyens représentatif
Dans ce territoire de 428 000 habitants, les 100 participants sont tirés au sort de manière à représenter toutes les diversités du territoire. Rémunérés pour leur présence le temps de cinq week-ends complets, ils travaillent en petits groupes, accompagnés par des intervenants extérieurs autour des axes “se loger, se déplacer, se nourrir et consommer, travailler et produire et s’engager pour la transition”, et se concertent pour proposer des pistes d’actions concrètes.
Marie-Hélène Bacqué, sociologue spécialiste des questions de démocratie participative, professeure à Nanterre, suit de près leurs travaux. Avec quatre autres “garants”, elle est chargée de veiller au bon déroulé de ce dispositif démocratique : “Un tel exercice permet d’ouvrir la délibération sur les grands défis et choix politiques et sociaux que pose la crise climatique à l’échelle du territoire vécu. Les participants mobilisent leurs savoirs citoyens dans cette discussion et ils formulent souvent des propositions très ambitieuses.”
Pour Véronique Ragusa Bartolone, Directrice de l’environnement et de l’écologie urbaine d’EST Ensemble, les échanges lors des ateliers sont nourris et constructifs : “On considère à tort que les habitants issus des quartiers populaires ne s’intéressent pas à ces questions, regrette-t-elle. Pourtant, lorsqu’ils ont accès à l’information, ils se mobilisent fortement et leur parole est entendue.”
Le “droit de suite”
Cinq mois plus tard, les citoyennes et citoyens rédigent une charte, comprenant 220 propositions. “Ce sont nos différences de points de vue qui ont permis de les enrichir, estiment-ils dans leur introduction. Nous avons vécu une expérience très forte qui nous a donné l’envie et la possibilité d’agir.” Ils indiquent également rester attentifs à ce que “cet effort collectif soit pris en compte par les élus et que ces derniers s’engagent sur le long terme.”
Pour Marie-Hélène Bacqué, cette question du “droit de suite” est primordiale : comment les propositions des habitantes et des habitants seront réellement mises en œuvre, après la fin de leur mission ? Qu’advient-il de leur participation ? “Les conventions citoyennes mobilisent des citoyens ordinaires ponctuellement. Mais la démocratie ne s’exerce pas seulement de temps en temps. Il faut associer les habitants durablement”, observe la chercheuse qui s’interroge sur la place de cette démarche de démocratie participative au sein de la démocratie représentative.“Les citoyens volontaires pourraient-ils prendre une part effective aux décisions communautaires?”, interroge-t-elle.
Prolonger la mobilisation
En mai 2022, les élus d’Est Ensemble réunis en conseil territorial adoptent à l’unanimité une série d’engagements, en réponse aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Seules 12 des 220 mesures sont écartées, “en raison de projets déjà en cours de réalisation, hors des compétences de la collectivité ou en opposition avec la démarche environnementale du territoire”.
Deux propositions – celles d’ambassadeur du climat et de Cité du Climat – représentent des pistes de travail pour prolonger la mobilisation des citoyens autour du plan climat de l’EPCI. Un enjeu qui questionne les élus, reconnaît Véronique Ragusa Bartolone : “Pour l’instant, nous essayons de tenir informés les citoyens de l’ensemble des actions qui découlent de la Convention citoyenne, explique-t-elle. Nous réfléchissons également aux dispositifs qui permettraient de poursuivre ce travail. Nous ne baissons pas les bras !” Cette année la concertation s’élargit également à l’ensemble des communes du territoire… jusqu’à la parution définitive du PCAET révisé, fin 2023.
« Un tel exercice permet d’ouvrir la délibération sur les grands défis, choix politiques et sociaux que pose la crise climatique à l’échelle du territoire. »Lire l’intrégalité de la revue Notre énergie