Le genre, angle mort des politiques de transition énergétique
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, rencontre avec Barbara Nicoloso, directrice de Virage Énergie, autour de la sortie de son nouvel essai sur les inégalités de genre dans la transition énergétique française et européenne.
Pourquoi un ouvrage sur la dimension genrée transition énergétique ?
Barbara Nicoloso : La transition vers un modèle énergétique décarboné et sobre est indispensable. Toutefois, il est important que cette transition ne renforce pas des inégalités déjà pré-existantes mais soit au contraire un levier pour construire une société plus égalitaire. Quand on s’intéresse au secteur de l’énergie les chiffres sont alarmants : à l’échelle mondiale, 20 % de femmes travaillent dans le secteur des énergies fossiles, 25 % dans le nucléaire et 32 % seulement dans les énergies renouvelables. En France, le secteur du bâtiment ne compte que 13 % de femmes ! Or, les femmes ont un rôle central à jouer dans la transition énergétique d’autant plus qu’elles ont souvent la charge des écogestes et de la gestion des consommations énergétiques au sein du foyer. Par ailleurs, les travaux de la sociologue américaine Cara New Dagget sur la pétro-masculinité démontrent un lien fort entre climatoscepticisme, capitalisme exacerbé, extractivisme et masculinisme. L’idée de ce livre est d’analyser la façon dont les énergies fossiles et la patriarcat ont pu générer des inégalités de genre ces 70 dernières années en Europe tout en s’interrogeant sur la façon dont des politiques publiques de sobriété et le développement des énergies renouvelables pourraient contribuer à la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes. Nous voulions documenter ces inégalités de genre, tout en fournissant des recommandations concrètes pour en venir à bout.
En matière d’énergie, quelles sont les grandes inégalités entre hommes et femmes ?
B.N : Les politiques d’aides à la rénovation énergétique sont malheureusement aveugles à la question du genre : elles sont très majoritairement destinées aux propriétaires, qui sont souvent des hommes, et on se pose très peu la question de qui sont les précaires énergétiques, or quand on y regarde, il s’agit principalement de femmes ! En France, 60 % des personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté sont des femmes ; 82 % des familles monoparentales ont à leur tête une femme, et il y a un écart de revenus de 20 % à peu près entre les femmes et les hommes au niveau européen.
Il est donc primordial que le genre soit pris en considération dans les politiques de transition énergétique. La norme thermique de 19 degrés, par exemple, a été calibrée sur la perception du confort par un corps masculin en bonne santé, et est peu adaptée aux femmes, qui perçoivent le froid et le chaud plus intensément, en raison de leur système métabolique et hormonal. Les femmes sont déjà perdantes dans la répartition des responsabilités familiales et des tâches ménagères ; si on ajoute à cela des dispositifs de transition énergétique élaborés de manière “universelle”, en réalité très masculine, sans regarder vraiment à qui les aides bénéficient, on amplifie encore les inégalités.
Comment faire changer les choses ?
Afin de mieux cibler les aides, on pourrait imaginer un chèque énergie bonifié destiné aux femmes en situation de monoparentalité et qui sont locataires, pour leur permettre la réalisation de petits travaux. Autre exemple : pour accompagner la mise en place des zones à faibles émission aujourd’hui, il serait pertinent de mieux définir les aides à destination des métiers dépendants de la voiture : plutôt que de les cibler sur les motorisations type camionnettes, il faudrait également les flécher sur les métiers du soin, souvent occupés par des femmes peu rémunérées, sur des horaires non compatibles avec l’usage des transports publics, et qui n’ont d’autre choix que de rouler avec des véhicules polluants. S’agissant de mesures de sobriété comme l’extinction nocturne de l’éclairage public, la ville de Lyon, par exemple, a mis en place des balades urbaines nocturnes afin d’identifier les endroits où il était particulièrement problématique pour les habitantes, et plus globalement les piétons et les cyclistes, de ne pas avoir de lumière, ce qui pouvait les contraindre à limiter leurs déplacements. Il y a sans doute un juste milieu à trouver entre éteindre totalement et garder quelques points de lumière.
Et en ce qui concerne les métiers de l’énergie ?
B.N : Si on compte de plus en plus de femmes dans des métiers liés à l’éco-construction ou au secteur de l’économie sociale et solidaire, on observe de nets décrochages au moment de la maternité : c’est le cas par exemple des architectes, qui ont moins de chances que leurs homologues masculins de devenir responsables d’agence, alors qu’elles sont plus nombreuses à être diplômées. Il faut donc prendre en compte la question du temps de travail, permettre par exemple aux femmes de rester à 4 jours par semaine, pour s’occuper éventuellement des enfants le mercredi, tout en conservant un salaire complet. D’autant que cette réduction du temps de travail permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit aussi de susciter une plus forte participation des femmes dans les projets de transition : organiser des réunions à 18h sans solution de garde d’enfants ne permet pas aux mères d’y participer. Enfin, il est indispensable d’orienter les petites filles vers les professions scientifiques et techniques, grâce à des politiques publiques ambitieuses de lutte contre les clichés sexistes. Les entreprises ont également un rôle à jouer en proposant des conditions de travail (rémunération, organisation du temps, lutte contre les violences sexistes et sexuelles) plus égalitaires.
«Pour que les choses changent, il faudrait que plus de femmes s’engagent dans des métiers concourant à la transition énergétique.»
Barbara Nicolodirectrice de Virage Énergie
Comment se procurer le livre de Barbara Nicoloso ?
Alliant un état de l’art de la recherche et des recommandations à destination des collectivités et des entreprises, l’essai de Barbara Nicoloso, réalisé à la demande de la Green European Foundation (la Fondation européenne de l’écologie politique), sera librement téléchargeable et accessible gratuitement à tous et à toute, nous mettrons le lien en ligne ici lors de sa sortie.