« La mobilité doit être prise en compte lors de chaque nouveau projet d’urbanisme »

Limiter la dépendance à la voiture implique de repenser l’urbanisme des zones de faible densité de population. « Un choix politique fort » mais crédible pour des élus locaux qui ont un pouvoir décisionnaire sur les questions d’aménagement de leur territoire. Par Marie Huyghe, docteure en urbanisme et aménagement de l’espace, consultante en mobilité

L’urbanisme dans le milieu rural est pensé pour la voiture. Comment en est-on arrivé là ?

Dans les années 1970, la démocratisation de la voiture a contribué à la distanciation des lieux de résidence et d’emploi : en permettant à des actifs urbains de déménager à la campagne, elle a participé au phénomène d’étalement urbain, à l’expansion de communes périurbaines puis de communes rurales plus éloignées. Ces communes se sont développées pour et par la voiture : elles ont évolué en fonction des pratiques automobiles de leurs habitants. Ce sont aujourd’hui des territoires peu adaptés aux piétons et cyclistes et très peu desservis par des offres de transport en commun. L’offre en équipements est quant à elle faible et souvent concentrée dans les communes-centres des intercommunalités, ce qui impose aux ménages des distances élevées… qu’ils parcourent souvent en voiture. Cet urbanisme pour la voiture explique donc en partie la dépendance à l’automobile que subissent ces territoires et leurs habitants. Dépendance qui induit des enjeux sociaux, économiques et, bien sûr, environnementaux.

Comment faire évoluer cette situation ?

Les élus, qui ont un pouvoir décisionnaire sur les questions d’aménagement de leur territoire, peuvent s’attaquer à cette question, mais c’est une chose peu aisée puisqu’il n’y a aujourd’hui pas « besoin » de faire évoluer la situation de la dépendance à la voiture : celle-ci n’est pas considérée comme un problème par les ménages, qui la considèrent au contraire comme un outil plutôt satisfaisant et indispensable à leur vie en rural. Pour les élus, il s’agit donc d’opérer un choix politique fort et qui sera impactant à long terme, de décider de faire évoluer leurs territoires « tout-voiture » vers des territoires ouverts à d’autres modes de transport. Ce choix a déjà été fait par de nombreuses villes, qui se sont modifiées en profondeur pour laisser la place aux vélos, piétons, tramways… Les problèmes liés à la voiture (de pollution, d’encombrement, de stationnement) ont sans doute facilité la prise de décision.

Quels conseils donnez-vous à ces acteurs locaux ?

D’une part, la question de la mobilité doit être prise en compte lors de chaque nouveau projet d’urbanisme. Ce nouvel équipement sera-t-il accessible facilement par tous, ou uniquement en voiture ? Comment faire évoluer le projet pour limiter le besoin de voiture ? Elle doit également être pensée dès la conception des projets : l’emplacement d’une piste cyclable ou d’un chemin piétonnier desservant un nouvel équipement doit être anticipé (notamment dans les documents d’urbanisme, sous forme d’emplacement réservé), et non pensé dans un dernier temps, une fois les travaux terminés.

Il s’agit également de permettre et favoriser des pratiques de proximité. Lorsqu’on analyse les modes d’habiter des ménages ruraux et périurbains (Huyghe, 2015 – Berroir et al, 2016), on observe qu’ils fréquentent assidûment leur territoire de proximité, pour des pratiques d’achat, de loisirs ou de sociabilité. Celles-ci sont sous-tendues par une recherche de gain de temps mais également par une volonté largement partagée par les ménages de valoriser leur territoire de résidence et ses acteurs (producteurs locaux, associations).

« Favoriser des pratiques de proximité permet aussi de mettre en valeur le territoire, ses acteurs, ses producteurs, ses associations… »

Les élus peuvent donc créer ou soutenir le maintien d’une offre de proximité pour favoriser ces pratiques. Attention cependant à développer une offre ayant une plus-value par rapport aux autres territoires, notamment urbains. Une offre qui corresponde aux désirs des ménages : de bio, de local, d’authentique… à des prix raisonnables. Ces activités réalisées autour du lieu de résidence induiront des déplacements de courtes distances, plus facilement réalisables en modes actifs, vélo ou marche à pied. Il s’agit alors de développer des infrastructures dédiées (pistes cyclables, notamment intercommunales, trottoirs, éclairage) dont le manque est aujourd’hui un frein important à la pratique des modes actifs, en particulier pour des raisons de sécurité.

Cela suffira-t-il à convaincre les habitants de changer leurs modes de déplacements ?

Agir sur l’urbanisme est un levier essentiel pour faire évoluer les pratiques de mobilité, comme l’est le développement de nouveaux services de transport. C’est néanmoins souvent insuffisant pour aboutir à de véritables changements de comportement chez les ménages. Pour cela, il est nécessaire de favoriser l’appropriation des nouvelles infrastructures par les habitants : en les faisant participer à la conception ou à la réalisation des projets, en les invitant à une inauguration officielle, en organisant une « vie » autour de ces infrastructures.

Publication

Cet article est extrait du CLER Infos n°116

Moteurs d’une société en mouvement, les transports sont responsables d’un tiers de nos consommations d’énergie et polluent l’air que nous respirons. Pourtant, aucune législation structurante n’a permis jusqu’à aujourd’hui d’aborder le thème de la mobilité en cohérence avec l’urgence de la transition énergétique. Qu’attendre du nouveau mandat présidentiel sur ce sujet ? Comment réduire le trafic routier et diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports ? Comment convaincre les territoires d’agir pour favoriser la mobilité autrement ? Un dossier à retrouver dans le CLER Infos n°116.

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