« La Commission européenne ne propose pas une reconfiguration du modèle agricole »

Symbole de l'action communautaire, la Politique agricole commune (PAC) représente 37 % du budget total de l'Union européenne. Alors que la France en est le premier pays bénéficiaire, une trentaine d’associations se sont réunies au sein d'une plateforme à l'occasion de la réforme post-2020 de cet outil qu'elle souhaite plus juste, plus durable et plus cohérente. Entretien avec Quentin Delachapelle, président du Réseau CIVAM et du Collectif pour une autre PAC.

La PAC est entrain d’être réformée. Où en sont les négociations ?

A cause du Brexit, les négociations pour la nouvelle Politique agricole commune (qui couvrira la période 2021-2027) ont lieu dans un contexte particulier : la Grande-Bretagne a longtemps été un « contributeur net » à cette politique (c’est-à-dire qu’elle en bénéficiait moins qu’elle y contribuait financièrement). Le modèle économique de la PAC est donc aujourd’hui remis en question. L’enjeu financier est important puisque une baisse d’au moins 5 % des enveloppes est à prévoir. De nombreux Etats-membres contestent ce futur budget au cours des débats sur le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne. Autre complexité : le calendrier. Avec les élections européennes prévues en 2019, il paraît difficile de mener à son terme le processus législatif dans un délai si court. Tout risque d’être repoussé à la nouvelle mandature.

Que pensez-vous des propositions de la Commission européenne pour la PAC 2021-2027 ?

Bien sûr, il faut de l’argent… mais pour quoi faire ? Nous pensons qu’il faut aujourd’hui modifier le contenu de la PAC pour la remettre au cœur des enjeux actuels. Elle ne doit pas être un outil de soutien à la compétitivité des filières dans un marché mondialisé et dérégulé, mais plutôt accompagner les changements de pratiques des agriculteurs vers un modèle agricole qui impacterait moins notre environnement. Les propositions de la Commission européenne actuelle montre une prise en compte de l’enjeu climatique. Elle affiche cette volonté mais ses propositions ne nous orientent pas vraiment vers une « reconfiguration » des modèles de culture et de production.

« Je suis paysan et depuis six ans, je subis un accident climatique par an sur ma ferme, à plus ou moins grande échelle. Une vraie transition doit s’imposer… »

Je suis paysan et depuis six ans, je subis un accident climatique par an sur ma ferme, à plus ou moins grande échelle. Une vraie transition doit s’imposer… Or, on nous propose des nouveautés comme les nouvelles technologies qui nous enfermeront encore un peu plus dans des modèles productivistes. 30 % du budget de la PAC doivent être consacrés à des actions environnementales ou climatiques. Malheureusement, on cherche encore la cohérence de ces actions qui s’apparentent trop souvent à du greenwashing.

Que proposez-vous ?

Un groupe de travail sur le climat a été créé au sein de la Plateforme pour une autre PAC. Ensemble, nous souhaitons construire une approche globale qui prendrait en compte le climat comme un enjeu parmi d’autres. Alors que la Commission européenne se focalise sur le système assurentiel privé qui dédommage les agriculteurs en cas de catastrophes naturelles et coûte énormément d’argent, nous souhaitons qu’elle investisse plus dans la prévention ! Elle pourrait par exemple proposer de rémunérer les services environnementaux, comme l’agroforesterie, l’agriculture biologique, la protection de la biodiversité. C’est l’une des mesures que nous soutenons.

Avez-vous tout de même l’impression que les pratiques évoluent dans le bon sens sur le terrain ?

Les pouvoirs publics en France sont aujourd’hui à l’écoute de nos propositions. Mais dans les faits, nous dépensons encore trop d’argent à financer les grandes fermes intensives. Même si le constat semble partagé, par exemple sur les dégâts engendrés par le réchauffement climatique dans nos exploitations, au moment de prendre des décisions et d’adopter de nouvelles réglementations, le poids des lobbies fait pencher la balance du mauvais côté. On nous dit que notre activité économique baissera, qu’on licenciera des personnes, mais ces modèles productivistes ne subsistent que grâce à la PAC…

Heureusement, on voit les acteurs des territoires agir : au sein des CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), nous tentons d’accompagner notre réseau, de renforcer les expériences de nos membres, de faciliter la diffusion des mesures agro-environnementales. Ensemble, nous avons plus de poids et d’impacts que tout seul sur le terrain.

Pour en savoir plus : www.pouruneautrepac.eu

Publication

Cet article est extrait du CLER Infos n°119

Sur le terrain, les agriculteurs observent et subissent le dérèglement climatique. En modifiant leurs pratiques agricoles, en réduisant leur consommation d’énergie ou en produisant des énergies renouvelables, ils peuvent aussi agir pour en réduire les effets. Alors que le système agricole et alimentaire français est responsable d’un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre, les pouvoirs publics tardent pourtant à prendre des mesures à la hauteur des enjeux. Comment encourager les pratiques agro-écologiques ? Quels projets d’énergie renouvelable favoriser ? Comment les légumineuses agissent-elles en faveur du climat ? Comment activer le levier de l’alimentation durable, main dans la main avec les collectivités locales ?

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