Isolation par l’extérieur : la transition énergétique vaut mieux qu’un mauvais débat

Des informations souvent partielles voire partiales ont récemment circulé au sujet du décret dit « travaux embarqués ». Non, la France ne va pas « s’enlaidir » sous le coup de la loi de transition énergétique. En revanche, ce décret agit dans l’intérêt général et devrait permettre aux citoyens les plus touchés par la précarité énergétique d’améliorer leur confort, leur santé et de réduire le montant de leur facture. Le CLER – Réseau pour la transition énergétique souhaite apporter les éclaircissements nécessaires. Décryptage.

Une règlementation de bon sens

La rénovation énergétique du bâtiment est l’un des grands enjeux du 21e siècle. Il s’agit, au nom d’impératifs tant sociaux, qu’économiques et environnementaux, d’adapter notre parc bâti au contexte de notre époque, comme chaque époque l’a fait par le passé. Pour minimiser les factures énergétiques toujours croissantes et augmenter le confort des occupants, l’efficacité énergétique consiste à réaliser des investissements qui permettront de réduire les factures. Ces travaux ont une certaine rentabilité mais, comme souvent dans le bâtiment, il convient de raisonner sur le temps long.

Les bâtiments atteignant une bonne performance énergétique consomment moins d’énergie et font réaliser des économies sur les factures. Les notaires constatent aujourd’hui que leur valeur patrimoniale augmente significativement et que celle des biens non rénovés – les « passoires énergétiques » – tend à s’effondrer. Diverses études montrent également à quel point les rénovations énergétiques sont bonnes à la fois pour la santé des habitants et pour l’économie locale grâce à l’emploi d’artisans installés dans les territoires. Sans compter l’effort ainsi réalisé pour lutter contre le réchauffement climatique, en limitant les dépenses énergétiques liées au bâti.

Cependant, les investissements sont relativement importants. Pour être optimisés, ils doivent être réalisés à un moment-clé de la vie du bâtiment. La rénovation de façade ou de toiture, alors que l’installation d’un échafaudage est déjà prévue, est le bon moment, celui où il est le moins cher d’isoler. D’où la nécessité de créer une règle adaptée. Cette norme décrite dans le décret en question offre toutefois de très nombreuses exceptions et portes de sortie.

Le décret n’impose en rien le choix d’une solution d’isolation par l’extérieur.

De très nombreuses dérogations

La norme nouvelle est définie pour un cas général, mais elle comporte des exceptions car elle ne pourra pas s’appliquer dans de nombreux cas particuliers. Notons par ailleurs que le décret n’impose en rien le choix d’une solution d’isolation par l’extérieur. Le propriétaire d’un bâtiment souhaitant isoler ses parois sans intervenir sur l’apparence extérieure peut toujours isoler par l’intérieur comme cela se pratique très couramment. Revenons aux cas particuliers, car ils sont très nombreux dans le cadre du décret n° 2016-711 du 30 mai 2016 relatif aux travaux d’isolation en cas de travaux de ravalement de façade, de réfection de toiture ou d’aménagement de locaux en vue de les rendre habitables, qui ne s’appliquera pas si :

– Il existe un risque de pathologie du bâti lié à tout type d’isolation.

-Les travaux d’isolation imposeraient d’empiéter sur d’autres propriétés.

– Les travaux d’isolation entraînent des modifications de l’aspect dans une zone protégée par n’importe quel classement, ou simplement les orientations du plan local d’urbanisme (secteurs sauvegardés, aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, abords des monuments historiques, sites inscrits et classés, ou contradiction avec les règles et prescriptions des plans locaux d’urbanisme).

– L’investissement n’est pas assez rentable pour les propriétaires. Si les économies générées par l’isolation ne sont pas remboursées en dix ans, la norme ne s’applique pas. Sachant que le gouvernement propose un éco-prêt à 0 % pouvant s’étaler sur dix ans, cela veut dire que chaque année, le ménage remboursera moins que ce qu’il économise. Au terme des dix ans, le ménage réalisera des économies à son bénéfice. Ceci sans compter le gain de valeur du bien, le gain en termes de confort et qualité de l’air intérieur… Et bien sûr les économie de gaz à effet de serre.

– S’il existe une disproportion manifeste entre les avantages de l’isolation et ses inconvénients de nature technique, économique ou architecturale. Dans le cas où les améliorations apportées par cette isolation ont un impact négatif trop important en termes de qualité de l’usage et de l’exploitation du bâtiment, de modification de l’aspect extérieur du bâtiment au regard de sa qualité architecturale, ou de surcoût.

– Et même en dehors de toute zone classée, en dehors de prescription du PLU, si une isolation par l’extérieur conduirait à dégrader la qualité architecturale, le décret ne s’appliquerait pas non plus.

Payer un architecte ?

Dans ces derniers cas de figure, il faudra obtenir une note d’un architecte justifiant de la valeur patrimoniale ou architecturale de la façade, attestant de la dégradation encourue. Difficile de dire combien cette note coûterait aux particuliers ou aux copropriétaires car elle ne semble pas correspondre à une prestation existante d’architecte. C’est un point à éclaircir car il ne semble pas correspondre à une réalité de terrain : si on l’engage, un architecte étudierait de manière globale la pertinence d’un projet de rénovation.

Le fruit de recherches et de consultations

La question d’une norme de performance énergétique lors de certains type de travaux s’est souvent posée. Dès 2009, la loi Grenelle 1 indique dans son article 5 « une étude analysera (…) les possibilités de mettre en œuvre à termes des obligations de travaux de rénovation ». Cette étude, menée en mars 2013 par Jacques Chanut et Raphaël Claustre, a fait l’objet de nombreuses contributions et concertations. Elle conclut qu’une telle obligation pourrait être envisagée à de nombreuses étapes de la vie du bâtiment mais que ceci est souvent compliqué. « Lorsque des travaux permettant d’intégrer une amélioration de l’efficacité énergétique sont pratiqués, il ne faut pas manquer cette opportunité. […] Il est donc nécessaire d’une part d’augmenter les exigences requises et surtout d’inclure dans le champ de la [règlementation] des travaux comme par exemple les rénovations de toiture ou les ravalements de façade. » Le décret dit « travaux embarqués » a lui aussi été largement concerté et a fait l’objet d’une participation active des associations de conservation du patrimoine qui aujourd’hui critiquent ce texte.

Le parc de bâtiment d’avant 1948 est le plus problématique du point de vue de la consommation d’énergie.

Les bâtiments d’avant 1948 sont des passoires énergétiques

Certaines parties prenantes avancent que les bâtiments anciens sont naturellement performants, mieux isolés que les bâtiments récents. En première approche, il est évident que ce n’est pas le cas, les études officielles montrent que près de la moitié (45 %) d’entre eux sont classés dans les pires niveaux de l’étiquette (F et G). Cela fait du parc de bâtiment d’avant 1948 le plus problématique du point de vue de la consommation d’énergie. Vient alors la remise en cause des méthodes retenues dans le cadre de ces travaux. Revenons dès lors à l’essentiel : l’humain et son ressenti.

L’enquête de référence, Phébus (voir encadré) montre que 11 % des ménages occupant des logements d’avant 1948 disent souffrir du froid. Ils sont 13 % dans les logements construits entre 49 et 1975 et seulement 2 à 6 % dans les logements construits après 1976 et la première réglementation thermique. Dans les logements d’avant 1948, ils sont même 21 % à déclarer avoir du mal à payer les factures, contre 19 % pour les logements de 1949 – 1975 et 11 à 16 % après 1976. Enfin, les ménages contraints à se restreindre du point de vue du chauffage représentent 27 % des occupants de logements d’avant 1948. Ils sont entre 20 et 24 % dans chacune des autres catégories.

Dans son mémento 2014, l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (Anah) précise que « plus du quart des résidences principales datent d’avant 1915 et près de 4 logements sur 10 ont été construits avant 1949. C’est dans cette catégorie que les besoins d’amélioration sont les plus importants, ce dont témoignent notamment les taux de vacance plus élevés. »

Ces faits soulignent, s’il en était besoin, l’urgence à mener un grand programme d’amélioration énergétique de tout le parc bâti en France, n’excluant surtout pas les logements d’avant 1948. Ce serait exclure 8 millions de ménages.

Conclusion

Les contre-références en matière d’isolation extérieure est un risque qu’il ne faut pas éclipser. L’amélioration de l’accompagnement des particuliers souhaitant rénover leur bien, notamment via les Espaces Info Energie, et la mise en place d’un dispositif de financement dédié, font parties des pistes pour le contingenter. Il ne doit pas cependant s’opposer à l’intérêt général que constitue la rénovation énergétique.

Une politique active en la matière est nécessaire. Embarquer les travaux d’isolation lors d’interventions importantes sur certains éléments du bâtiment permet de rendre le logement plus économe. Mais une telle obligation ne doit pas être vue comme l’élément central d’une politique de rénovation énergétique du bâtiment. Aux côtés de mesures d’information du public, de financements appropriés et de la construction d’une offre professionnelle fiable, l’instauration de normes calibrées et flexibles permettront d’avancer dans le secteur du bâtiment sur le plan de l’efficacité énergétique. Et d’atteindre les exigences fixées par la loi de transition énergétique : 500 000 rénovations énergétiques par an.

Références

L’enquête Phébus vise à fournir une photographie des performances énergétiques du parc des résidences principales, en permettant de les analyser en fonction des caractéristiques de leurs occupants, des équipements ménagers et automobiles, de leurs usages énergétiques et de leurs consommations d’énergie.