Individualisation des frais de chauffage : une fausse bonne idée
Séduit par une vision simpliste de l’individualisation des frais de chauffage, le précédent gouvernement souhaitait en favoriser le développement. Mais les retours de terrain catastrophiques ont provoqué une opposition massive des consommateurs et des acteurs du logement. Cessons de gaspiller les fonds limités des copropriétaires dans des dispositifs contre-productifs ! Pour atteindre les objectifs de baisse des consommations fixés par la loi, la priorité devrait être de poursuivre les actions permettant de lever les freins à la réalisation de travaux ambitieux.
L’individualisation des frais de chauffage est une mesure destinée aux immeubles chauffés collectivement. L’objectif est de faire payer à chacun ce qu’il consomme. Ce principe de facturation est supposé entraîner une baisse drastique des consommations (20 % en moyenne selon le lobby de l’individualisation), pour un coût d’investissement annoncé comme très faible. L’individualisation des frais de chauffage serait donc un dispositif a priori idéal. Malheureusement les retours de terrain démentent catégoriquement ces belles promesses.
On ne paie pas « que » ce qu’on consomme
Les équipements utilisés pour individualiser les frais de chauffage manquent de fiabilité. Le bureau d’études Enertech a réalisé une étude qui établit que les conditions nécessaires pour garantir la fiabilité des répartiteurs sont beaucoup trop nombreuses, et que certaines d’entre elles sont pratiquement impossibles à satisfaire sur des installations anciennes (qui constituent la majorité des installations existantes). Enertech estime que, sur le terrain, l’erreur associée à ces dispositifs sera selon toute vraisemblance de plusieurs dizaines de pourcents. L’étude montre ainsi que la marge d’erreur peut atteindre 86 %. De plus, la mesure peut se voir très facilement faussée (volontairement ou non) par l’usager : un simple vêtement posé sur un répartiteur peut entraîner une sous-estimation de la consommation allant jusqu’à 29 %. En copropriété, l’individualisation n’amène donc pas d’équité mais conduit à la multiplication des contestations.
L’individualisation n’est pas rentable
D’une part, les coûts sont bien plus élevés qu’annoncés. En effet, les coûts d’installation, de location et de relève des équipements ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. A ces coûts viennent s’ajouter les coûts liés à la pose de robinets thermostatiques sur chaque radiateur, au désembouage, à l’équilibrage, aux équipements à installer en chaufferie (soupape différentielle, circulateur à vitesse variable), aux frais de gestion du syndic et aux frais liés à la modification du règlement de copropriété.
« Les coûts d’installation, de location et de relève des équipements ne constituent que la partie émergée de l’iceberg »
D’autre part, on observe que les économies réalisées sont en fait très faibles (de l’ordre de 5 %). En effet, ces dispositifs favorisent des comportements individualistes, en lieu et place de la concertation indispensable à la réalisation de travaux énergétiquement performants (rénovation collective de l’enveloppe et des systèmes). De plus, les économistes eux-mêmes « ont démontré la faible élasticité de la demande au prix de l’énergie dans le bâtiment » (comme le rappelle Gaëtan Brisepierre dans « L’appropriation du suivi des consommations d’énergie et ses conditions d’efficacité sur les pratiques habitantes » – JISE, 2015).
Les ménages précaires toujours fragilisés
Avec l’individualisation des frais de chauffage, les ménages qui voient leur facture baisser sont les ménages actifs, souvent plus jeunes et moins présents à leur domicile. A l’inverse, ceux qui voient leur facture augmenter sont les ménages fragiles et les personnes âgées. L’individualisation a donc un impact négatif sur la précarité énergétique.
Cette tribune a été rédigée par Julien Allix, responsable du pôle énergie à l’association des responsables de copropriété (ARC), et publiée dans le CLER Infos N°115 – Des innovations au service de l’intérêt général