Énergies renouvelables : « Il faut surmonter une forte résistance au changement »
Coût exorbitant, production trop faible, menace pour nos industries, intermittence ingérable pour le système électrique... Les clichés qui collent à la peau des énergies renouvelables n’ont plus lieu d’être, estime Marc Jedliczka, le directeur de l’association Hespul à Lyon, également membre de négaWatt et administrateur du CLER, même si de nombreux conservatismes doivent être combattus.
Quels sont les clichés les plus persistants sur les énergies renouvelables ?
Les études sur l’opinion des Français vis-à-vis des différentes sources d’énergie ont toujours placé les renouvelables très largement en tête, avec, pour certaines d’entre elles comme le photovoltaïque et l’éolien, des scores qui ont même tendance à augmenter. Et pourtant, ce sont aussi elles qui font l’objet du plus grand nombre de critiques de toutes sortes, allant du lait des vaches qui tourne jusqu’à la très fameuse « intermittence », prétendu talon d’Achille qui les disqualifierait d’office. On leur reproche leurs coûts astronomiques et des mécanismes de soutien qui ne serviraient qu’à faire tourner des usines chinoises, mais cette idée reçue, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, est infondée.
Pourquoi ces idées reçues sont-elles mensongères selon vous ?
Sur ce dernier point qui concerne principalement le photovoltaïque, on peut facilement relativiser le problème : les modules, dont le coût continue à baisser spectaculairement, ne représentent guère plus de 25 % d’un système installé. L’essentiel de la valeur ajoutée se trouve plutôt du côté de l’installation et de l’exploitation. Par ailleurs, la délocalisation de l’industrie est avant tout une affaire de non-choix politique à l’époque où l’Europe était très largement en avance sur le reste du monde et aurait pu se donner les moyens de protéger cette industrie stratégique contre les délocalisations. Des projets importants évoqués dans le cadre du Plan de relance et du Green Deal aujourd’hui pourraient changer la donne.
L’intermittence représente-t-elle l’obstacle majeur à un scénario énergétique 100 % EnR ?
Côté intermittence, chaque jour qui passe apporte de nouvelles preuves de la faisabilité d’un scénario 100 % EnR. Après la solution de stockage massif de l’énergie dans les infrastructures gazières via l’hydrogène et la méthanation (« power-to-gas »), c’est maintenant Réseau de transport d’électricité (RTE), filiale d’EDF, qui affirme que l’on saurait déjà aujourd’hui faire fonctionner un système électrique alimenté à 100 % par des sources « intermittentes » avec des technologies disponibles (en conclusion d’un programme de recherche mené avec ses homologues de huit pays européens).
« Ce sont les représentations du fonctionnement réel et des jeux d’acteurs du système électrique issues du « monde d’avant » que nous devons remettre en question. »
Certes cela demanderait une adaptation du réseau avec des investissements relativement lourds s’ils se réalisaient aujourd’hui mais il n’y a pas d’urgence puisque ce n’est qu’au-delà de 70 à 80 % de sources variables qu’elle devient critique, ce qui laisse le temps (au moins une quinzaine d’années) pour développer les bonnes solutions via des activités de recherche et de démonstration afin d’en réduire les coûts quand le moment de les mettre œuvre sera venu.
Quels sont les principaux acteurs aujourd’hui qui alimentent ces clichés ?
Le problème principal n’est définitivement plus celui des technologies de production et d’adaptation du réseau ni même de leur coût – surtout si l’on inscrit comme il se doit la sobriété et l’efficacité au premier rang des actions à mener – mais celui de la structure actuelle du marché de l’électricité. Il n’est absolument pas adapté aux moyens de production à « coût marginal nul » comme les renouvelables (et dans une moindre mesure le nucléaire).
Nous venons d’ailleurs d’en faire l’expérience ! Du fait de la baisse drastique de la consommation, la crise du coronavirus a transporté d’un coup le système électrique européen à la situation de 2030 en termes de part des renouvelables dans le mix électrique (à condition que nos objectifs soient tenus bien-sûr). Et que s’est-il passé ? Sur le plan technique, strictement rien en ce qui concerne la sécurité ou la qualité d’approvisionnement des entreprises comme des ménages avec pourtant près de 40 % de sources « intermittentes » à certains moments sur la plaque européenne. Par contre, le marché de l’électricité s’est affolé à la baisse !
C’est le marché qui n’est donc pas prêt au 100 % EnR ?
Il faut changer de point de vue : lorsque les énergies renouvelables seront majoritaires et plus tard largement dominantes, les signaux envoyés aux acteurs du marché, qu’ils soient producteurs, consommateurs ou « stockeurs » ne devront plus être basés sur la seule loi de l’offre et de la demande mais sur les besoins techniques du réseau pour qu’il continue à fonctionner. Réglage de la fréquence, gestion du courant réactif et des congestions, ou encore inertie… ce sont les « services-système », aujourd’hui fournis par les alternateurs géants des centrales nucléaires, gaz ou charbon, qui seront les principaux enjeux demain.
Comment « transformer » ce système ?
Cet enjeu crucial doit désormais être mis en haut de l’agenda de transformation du système électrique pour qu’il puisse participer à la transition et non la ralentir. Tout aussi essentiel : l’évolution des métiers, des outils et des pratiques professionnelles des acteurs publics et privés pour que tout le monde tire dans le même sens ! Mais cette évolution nécessite un vigoureux effort de sensibilisation, de formation et d’accompagnement. Car il faut surmonter une forte résistance au changement, et contrer la parole de certains « experts auto-proclamés » ayant pignon sur rue, qui reprennent en boucle des contre-vérités et demandent l’arrêt de toute aide au déploiement des énergies renouvelables.
Ce sont donc les représentations du fonctionnement réel et des jeux d’acteurs du système électrique issues du « monde d’avant » que nous devons remettre en question. Et ceci est loin d’être vrai seulement pour l’électricité, car le biogaz ou la biomasse subissent aussi leurs lots de critiques injustifiées. Mais c’est tout de même dans ce secteur que, logiquement, les résistances sont les plus fortes : alors que les gestionnaires des réseaux gaziers (GRDF et GRT-Gaz, filiales d’Engie) défendent désormais une vision « gaz 100% renouvelables », peut-on imaginer qu’Enedis et RTE, leurs homologues électriques filiales d’EDF, leur emboîtent le pas ?
Luttons ensemble contre les idées reçues
Les énergies renouvelables coûtent cher, elles demandent plus d’énergie à fabriquer qu’elles n’en restituent, elles détruisent des emplois… Qui n’a jamais entendu ces affirmations ? Elles sont pourtant presque toujours erronées ! Depuis 2016, le CLER en partenariat avec le Réseau Action Climat et l’association Hespul vous expliquent pourquoi dans une publication dédiée. Énergies renouvelables : en finir avec les idées reçues ! (36 pages, réédition janvier 2016) est disponible sur notre site internet. L’association négaWatt a également conçu le site Décrypter l’énergie pour apporter des réponses aux idées reçues sur de multiples thèmes de la transition énergétique.
www.decrypterlenergie.orgCet entretien est tiré de la Revue Notre énergie n°127 (Juillet 2020)
Tous les jours dans les territoires, des porteuses et porteurs de projets se confrontent à beaucoup d’idées reçues tenaces sur les énergies renouvelables, auxquelles ils répondent dans ce nouveau dossier de Notre énergie : leurs témoignages de professionnels aguerris démontrent aux défenseurs des énergies « conventionnelles » comme le charbon, le pétrole, le gaz ou le nucléaire, qu’un avenir 100 % EnR est crédible, à condition de le bâtir ensemble.
Consulter la publication