Enjeux climatiques : les citoyens sont prêts à aller plus loin

À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, Lucile Schmid, vice-présidente du think tank La Fabrique écologique estime que la campagne n’a pas été à la hauteur des enjeux climatiques et énergétiques. Elle analyse pourquoi ces sujets majeurs peinent à devenir centraux.

Quel est votre regard sur la place des enjeux climatiques dans la campagne présidentielle ?

Lucile Schmid : Cette campagne n’est pas à la hauteur, ni en matière d’écologie, ni sur les autres sujets. Peut-être qu’après deux ans de pandémie, nous rencontrons des difficultés à retrouver un moment démocratique. Il y a un fossé entre ce qu’expriment les candidats et les véritables difficultés de la vie. Les enjeux climatiques illustrent ce décalage, cette irréalité où ce qui nous est présenté n’a rien à voir avec ce que nous vivons. Les études d’opinion, et en particulier les baromètres de l’ADEME, montrent bien la montée en puissance de l’envie d’agir des Français et la prise de conscience des élus. Mais l’articulation avec un projet de société global reste à construire. Les candidats qui ont véritablement un programme écologiste partagent le diagnostic du lien nécessaire entre justice sociale et transition écologique, mais au-delà du diagnostic où est la méthode ? Quel candidat nous explique comment nous allons atteindre nos objectifs, comment il surmontera les oppositions ou associera les citoyens, comment il fera travailler ensemble ceux qui ne sont pas du même bord politique ?

« Il faut inscrire la question climatique dans l’Histoire »

Alors que les alertes de la communauté scientifique ne cessent de se multiplier, pourquoi les politiques ont-ils tant de difficultés à s’emparer de ces questions ?

L.S : Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a qualifié le 6e rapport d’évaluation du GIEC d’atlas de la souffrance humaine. De fait, ce rapport montre bien à quel point l’incertitude du monde est plurielle. La guerre en Ukraine a prouvé que la communauté internationale était capable de se mobiliser. Mais la lutte contre le changement climatique est un phénomène complexe qui implique, en particulier, de désinvestir, ce qui va à l’encontre de nos habitudes. Un désinvestissement mental : il faut rompre avec notre manière de penser et d’agir issue du productivisme d’après-guerre, reconsidérer notre place dans la nature, interroger notre toute puissance et la relativiser. Mais aussi un désinvestissement financier : comment et à quel rythme allons-nous désinvestir dans certains secteurs, comme les énergies fossiles, l’automobile ou le transport aérien ? Cela n’est possible qu’en associant les acteurs économiques et les acteurs politiques. Enfin, le changement climatique reste encore perçu comme une menace conjoncturelle dont la portée va et vient au gré de sa visibilité et de catastrophes immédiates. Comment donner à l’action en faveur de l’écologie une place structurelle dans nos vies ?  Pour la rendre visible, il faut inscrire la question climatique dans l’Histoire.

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Quelle place pour la démocratie dans les enjeux climatiques, et plus précisément énergétiques ?

L.S : Les citoyens sont prêts à aller plus loin que ce que leurs représentants imaginent. Pour autant, et en particulier pour les jeunes qui vont vivre toute leur existence dans le dérèglement climatique, il est indispensable de les associer aux décisions qui vont transformer leur vie. Cela implique de sortir de la relation asymétrique entre l’État et la société. Les citoyens qui attaquent l’État lorsqu’il ne tient pas ses engagements indiquent qu’ils souhaitent que celui-ci exerce son rôle de régulateur et tienne le cap fixé. En creux se dessine une nouvelle forme d’État, dans laquelle les citoyens interagissent davantage.  

Pourquoi la question de notre mix énergétique ne fait-elle pas l’objet d’un débat sur notre modèle de société ?

L.S : La question du mix énergétique est une idée nouvelle dans notre pays où la production électrique est très marquée par la prédominance de l’hydroélectricité et du nucléaire. L’écologie politique est née de l’opposition au nucléaire, une énergie dont le développement a donné lieu à une forme de confiscation technocratique assortie à une culture du secret. Aujourd’hui, si en raison de l’urgence climatique, nous devons envisager de remettre en question la sortie du nucléaire, un changement de culture est nécessaire de part et d’autre. La question du mix énergétique, ce n’est pas de remplacer une production par une autre. Il s’agit d’abord de sobriété et de sortie des énergies fossiles. Ces deux questions sont singulièrement absente des débats. Elles sont pourtant essentielles et interrogent nos valeurs et l’organisation de nos vies. Ce sont plus des opportunités que des contraintes.

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