« Dorémi accompagne les artisans vers la rénovation performante »

Au service des territoires, Dorémi (Dispositif opérationnel de rénovation énergétique des maisons individuelles) permet à la fois de structurer une offre de rénovation complète et performante et de stimuler la demande des ménages, y compris modestes. En formant et en qualifiant des groupements d’artisans, ce dispositif très innovant incite les professionnels à poser un autre regard sur leurs pratiques, grâce à une mise en commun de leurs compétences et au travail en équipe. Entretien avec Jérémy Celsan, directeur adjoint de Dorémi SAS solidaire.

Qu’apporte le dispositif Dorémi aux artisans ?

Notre objectif est de faciliter la rénovation performante du parc de maisons individuelles d’ici 2050, selon les principes du scénario négaWatt et les objectifs de la loi de transition énergétique. Sur ce marché, les entreprises sont très petites : il s’agit principalement d’artisans seuls ou d’entreprises de deux à cinq salariés seulement, rarement plus de dix. Dès la première expérimentation en Biovallée, il a fallu encourager les artisans à se structurer en « groupements de compétences ». Notre argument principal était : « Vous, artisans, constituez la force de travail capable de rénover les 8 millions de maisons énergivores, un nouveau marché accessible si vous vous structurez pour cela ».

En effet, la rénovation performante a des conséquences positives pour le développement économique local et l’emploi (près de 400 000 ETP consolidés dans le secteur, d’après les projections du scénario négaWatt, à l’horizon 2030). Mais pour le valoriser, il fallait agir contre « l’éclatement » des pratiques des professionnels en leur proposant une formation-action, pour que les artisans apprennent à se coordonner à plusieurs sur un même chantier et assurer un ensemble de travaux cohérents et performants.

Quel est le contenu de la formation ?

Nous partons du principe que chacun maîtrise ses compétences « métier », en tant que chauffagiste, menuisier ou plaquiste. L’enjeu principal n’est donc pas vraiment technique, sauf à considérer la meilleure manière d’atteindre la performance au niveau « BBC-rénovation » simplement et à coûts maîtrisés. Pour proposer une rénovation complète et performante, il faut par contre s’organiser en amont pour proposer au maître d’ouvrage une offre intégrée, sans juxtaposer les devis, en mutualisant certains matériels, en phasant les travaux pour éviter les reprises, les pertes de temps… Faire intervenir des artisans collectivement a plusieurs avantages, notamment celui de rendre la rénovation performante accessible à tous : d’après les premiers retours d’expérience que nous avons analysés avec le bureau d’études Enertech, l’optimisation de l’offre permet de gagner 15 à 20 % sur le montant global des travaux. C’est loin d’être anodin quand on parle de chantiers à 45 voire 60 000 euros.

« En proposant une offre qualitative et coordonnée, ils font le pari que ces projets ambitieux seront validés par les propriétaires. »

La formation propose donc aux artisans de constituer un groupement informel (de cinq professionnels en moyenne), et de développer une stratégie commerciale pour mettre en valeur leur offre innovante. Des enseignements fondamentaux ont lieu « en salle », mais très rapidement, le groupement a l’opportunité de mettre en pratique cette logique collective sur quatre projets pédagogiques réels, à savoir des maisons de ménages identifiés par la collectivité locale comme potentiellement intéressés par la rénovation énergétique. Accompagnés par un formateur Dorémi, les artisans réalisent un état des lieux architectural et technique du futur chantier, ils discutent du projet et débattent des solutions possibles. Le « pilote » du groupement apprend à faciliter les échanges et se charge de collecter les contributions de chacun et d’être l’interlocuteur privilégié du maître d’ouvrage.

En proposant une offre qualitative et coordonnée, ils font le pari que ces projets ambitieux seront validés par les propriétaires. Aujourd’hui, le taux de transformation des projets pédagogiques en chantiers réels se situe entre 30 et 55 %, ce qui est satisfaisant compte tenu de la nouveauté de ce type de rénovation atypique. Une fois sur le chantier, le formateur aide les artisans à exercer un regard critique sur leurs travaux, notamment grâce à un test d’étanchéité à l’air, ou encore à un protocole de mise en service et de réglage des systèmes. Cela permet aux artisans de valoriser la qualité de leur intervention, et aux ménages de bénéficier de la performance attendue.

Combien de participants ont déjà bénéficié de cette formation ?

Aujourd’hui 85 groupements ont été constitués et sont pour la plupart encore en cours de formation. 750 artisans ont suivi le premier module en salle. C’est la collectivité locale qui porte la dynamique de formation-action. La simple curiosité des artisans ne suffit pas à franchir le pas de la constitution du groupement, il faut qu’ils soient convaincus par la rénovation performante, et intéressés pour se positionner à l’avant-garde sur ce marché émergent. Il faut également qu’ils soient prêts à travailler en équipe. De fait, ceux qui viennent avec un noyau dur de « collègues » issus de corps de métiers complémentaires, qui se connaissent et souhaitent travailler ensemble, avancent vite. D’autres apprécient le travail en toute indépendance, et mettent plus de temps à rencontrer les partenaires avec qui démarrer, ou déclinent finalement la proposition de participer à la formation-action.

Quelles sont les autres difficultés rencontrées par les artisans face à cette nouvelle logique d’offre « complète » ?

Les artisans s’interrogent sur le gain économique réel. On l’a dit, l’offre intégrée permet de réduire les coûts du point de vue du client. Mais certains professionnels ont naturellement peur de devoir réduire leurs marges, ce qui n’est pas l’objectif de la formation-action ! En plus, cette démarche collective implique de passer plus de temps sur chaque chantier avant même qu’il ne commence, en dialoguant à plusieurs et en travaillant une offre collective et qualitative.

Ce dont nous sommes certains, c’est qu’une telle offre ne rencontre que peu de concurrence pour l’instant, et que le contexte local favorable, où la collectivité joue le rôle de « tiers de confiance » et cible les prospects, augmente les chances de réaliser des chantiers. Les retombées économiques sont bel et bien à portée de mains ! Nous encourageons les groupements à progresser pour qu’ils développent une véritable stratégie commerciale, pérenne. Nous souhaitons notamment mieux les appuyer pour rationaliser les coûts, en étudiant tous les paramètres : choix de produits, prix des fournitures, temps de pose, coûts de structure, impact d’une bonne organisation… Nous commençons également à avoir une certaine envergure, qui permet d’envisager de négocier des prix d’achats groupés auprès des industriels pour les artisans du réseau Dorémi.

Comment, selon vous, encourager la massification des chantiers de rénovation énergétique des maisons individuelles ?

La rénovation complète et performante apporte une nouveauté remarquable : elle permet la mise en place d’un nouveau modèle économique que ne permet pas les rénovations « par morceaux » conduites aujourd’hui. Bien optimisée, la rénovation complète et performante permet de transformer des factures de chauffage en mensualités de prêt d’un montant équivalent, tout en bénéficiant d’une maison confortable, revalorisé sur le marché immobilier, avec une qualité d’air intérieur exceptionnelle.

Nous avons ainsi démontré que la rénovation complète et performante n’est pas un marché de niche réservé aux ménages aisés : sur les 70 chantiers pédagogiques de rénovation complètes et performantes déjà engagés et suivis à ce jour, près de la moitié sont conduits par des ménages modestes ou très modestes. On parvient, en mobilisant toutes les aides, à boucler un plan de financement parfois sans aucun apport personnel. C’est vraiment intéressant pour les bénéficiaires ! C’est également intéressant pour l’Etat, qui bénéficiera de l’augmentation des recettes fiscales et sociales due à l’émergence de ce nouveau marché, comme l’ont déjà démontrées les autorités allemandes. Bien sûr, pour massifier, il nous faut réduire la complexité de ce système ; c’est pourquoi il est nécessaire de travailler à la mise en place d’une « offre unique de financement » (OUF), que nous portons auprès de plusieurs Régions (Centre-Val-de-Loire, Auvergne-Rhône Alpes), et qui prend forme en Région Grand Est, que nous accompagnons depuis trois ans, avec la SEM de tiers-financement Oktave nouvellement créée. Sans un système de financement simple et rassurant, la massification de la rénovation n’aura pas lieu.

Publication

Cet article est extrait du CLER Infos n°117

Les entreprises sont au cœur de la mise en œuvre concrète de la transition énergétique dans le bâtiment. C’est le plus souvent en solo que ces professionnels de terrain – la majorité sont des artisans ou des auto-entrepreneurs – s’interrogent sur l’existence d’un marché de la rénovation énergétique en France. Alors que le gouvernement lance un débat d’ampleur sur ce sujet, où les plus gros acteurs ont beaucoup à gagner, qu’en pensent les plus petits ? Pourront-ils tirer leur épingle du jeu ? Doivent-ils se regrouper pour travailler plus et mieux ? Avec quels autres acteurs de terrain nouer des relations de confiance ? Ce dossier du CLER Infos leur donne la parole.

Consulter la publication
Commandez ce numéro ou abonnez-vous