Décryptage du Paquet Énergie Climat de l’Union européenne
Que faut-il attendre du futur paquet Énergie Climat de l'Union Européenne et quelles marges de manœuvre pour la présidence française ? L'analyse de Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre énergie de l'Institut Jacques Delors.
Quel regard portez-vous sur les propositions législatives faites par la Commission européenne en vue du paquet énergie climat « Fit for 55 » ?
Comme son nom l’indique assez mal, l’ambition du paquet énergie climat Fit for 55 est de réduire les émissions de gaz à effet de serre européennes d’au moins 55 % d’ici 2030. Et de devenir climatiquement neutre d’ici 2050. Pour y parvenir, la Commission européenne a présenté deux séries de vingt mesures en juillet et décembre. La première concerne particulièrement l’automobile, le marché carbone ou encore les énergies renouvelables tandis que la seconde salve comporte notamment un projet de réforme du marché du gaz et la révision de la directive sur la Performance énergétique des bâtiments (DPEB). A mes yeux, la Commission européenne a eu le mérite de faire une proposition cohérente.
« La Commission européenne ouvre à la négociation toutes les réglementations nécessaires pour changer en profondeur le cadre réglementaire européen. »
Cela nous permettra enfin d’apporter une réponse systémique à un problème systémique. Aussi étrange que ça puisse paraître, c’est la première fois par exemple qu’on adresse simultanément les sujets des véhicules électriques, de leurs bornes de recharge et de la décarbonation de l’électricité qui les fait avancer !
Que comporte le projet de révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments ?
Il vise d’une part à obliger les États à réviser leurs stratégies nationales de rénovation en concertation avec les territoires, avec des ambitions renforcées et des démarches spécifiques envers les ménages vulnérables. Un autre élément important concerne les normes européennes de performance énergétique minimale (MEPS, en anglais). Ces normes existent déjà pour les constructions neuves mais la commission suggère d’en introduire de nouvelles pour les bâtiments existants les moins performants afin de pousser à leurs rénovations.
Parallèlement, une autre mesure importante du paquet Fit for 55 concerne directement le bâtiment : il s’agit de la proposition de création d’un marché européen du carbone de type « droits à polluer » pour les carburants utilisés pour le transport routier et le chauffage. Ce marché serait construit sur le modèle de celui qui existe déjà pour les centrales électriques et l’industrie.
Ces propositions du paquet énergie climat vont-elles dans le bon sens ?
En ce qui concerne les MEPS, le projet de la Commission va dans le bon sens. Mais ni assez vite, ni assez loin. Les bâtiments résidentiels privés de niveau F ne seront concernés qu’à partir de 2030 et ceux de classe E en 2033. C’est vraiment tardif.
« Les seuils fixés manquent eux-mêmes d’ambition et de cohérence entre États. »
Un bâtiment classé D à Strasbourg serait, par exemple, rétrogradé a minima en E s’il se situait juste de l’autre côté de la frontière allemande.
Et quid du projet de second marché carbone ?
Je comprends la logique de la Commission, c’est un mécanisme qui peut avoir un impact écologique via l’incitation économique au changement d’énergie. Mais il est évident que les énergéticiens reporteront le coût de leur droit à polluer sur leurs clients et certains prix vont exploser. Si le prix du fioul double, voire triple, ça sera très problématique. Pour sa part, l’Institut Jacques Delors préconisait l’abandon de cette mesure dont nous pensons qu’elle présente un risque politique important pour un bénéfice écologique incertain.
Au moins la Commission semble nous avoir entendu sur un autre point, car elle propose que 25% de l’argent de ce second marché carbone soit reversé à un fonds social pour le climat que nous appelons de nos vœux depuis longtemps -mais qui reste en l’état insuffisant.
Quelles sont les étapes à venir et la marge de manœuvre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne ?
Le parlement européen et le conseil ont commencé tous deux à travailler en parallèle sur les propositions de la Commission dans l’optique de proposer leurs propres versions. Objectif : ouvrir la phase dite de « trilogue » pour arriver à un « paquet » consensuel, sans doute l’année prochaine.
Les marges de manœuvre de la France se jouent au niveau du conseil. Tant au plan politique – nous savons par exemple que le président Macron va être moteur sur le sujet du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et sur la réforme des règles budgétaires européennes – qu’au plan administratif et technique. Sur ce point, l’enjeu pour la présidence française est clairement de mener les travaux du conseil à un rythme rapide pour qu’il puisse remettre sa version avant la passation des rênes à la République Tchèque. Et en période électorale ce n’est pas un pari gagné d’avance…
« L’enjeu pour la Présidence française est clairement de mener les travaux du conseil à un rythme rapide »