Covid-19 : « Il faut lutter dès maintenant contre l’aggravation de la précarité énergétique »

La crise sanitaire actuelle accentue toutes les inégalités, notamment celles liées au logement et à sa performance énergétique. Les effets du Covid-19 sur la précarité énergétique en France sont encore largement « devant nous », comme l'explique Marie Moisan, coordinatrice du réseau Rappel réunissant les Acteurs de la lutte contre la précarité énergétique dans le logement.

Quel est le lien entre crise sanitaire du Covid-19 et mal-logement ?

En général, les personnes dans une situation de précarité énergétique font face à des inégalités d’ordre sanitaire : ceux qui vivent dans un logement sans confort thermique ont une santé fragilisée par rapport au reste de la population. Plusieurs études établissent clairement une corrélation entre la privation de chauffage et des pathologies chroniques (bronchites par exemple). Lorsque survient une crise sanitaire telle que nous la vivons actuellement, les ménages en situation de précarité énergétique sont ainsi plus exposés à des complications de santé.

« On peut craindre une explosion des impayés d’énergie, des demandes d’aides faites aux services sociaux, et in fine des coupures d’énergie »

Mais les inégalités sont aussi d’ordre socio-économiques. Les personnes aux revenus modestes qui vivent dans une passoire thermique subissent systématiquement une double peine : leurs ressources financières sont bien plus faibles que la moyenne alors que leurs consommations d’énergie sont plus élevées. Ce qui fait exploser leur « taux d’effort énergétique ». En pratique, ce n’est pas toujours le cas puisqu’ils sont nombreux à se priver ou à se restreindre. Heureusement pour eux, la crise est arrivée à un moment où il n’y avait plus besoin de se chauffer, sinon la situation aurait été catastrophique pour tous les occupants modestes d’une passoire thermique !

Comment ont-ils fait face au paiement de leurs factures durant la crise ?

Cette crise aura des conséquences différées : les revenus d’activité des ménages ont globalement diminué pendant la crise du fait du chômage partiel, des arrêts maladie pour garde d’enfant ou du recul des « petits jobs ». Les ménages vivant de l’économie informelle, et ne pouvant pas bénéficier des mesures exceptionnelles du gouvernement type chômage partiel, se retrouvent sans revenu. Jusqu’ici, les ménages se sont focalisés sur les besoins les plus urgents comme l’alimentation, le paiement du loyer ou les dépenses de santé. Ainsi, beaucoup de foyers ont mis leurs factures d’énergie en attente durant la trêve hivernale (prolongée jusqu’au 10 juillet). Les services sociaux se sont eux aussi concentrés sur les urgences (aides alimentaires notamment), auxquelles ils ont consacré des moyens financiers en nette hausse. Que va-t-il se passer lorsque les ménages en situation d’impayé d’énergie vont se tourner massivement vers ces mêmes services sociaux afin de demander de l’aide ? On peut craindre une explosion des impayés d’énergie, des demandes d’aides faites aux services sociaux, et in fine des coupures d’énergie, alors qu’elles ont déjà atteint un niveau historique en 2019 (+100 000 par rapport à 2018).

Comment peut-on agir rapidement, et limiter les conséquences dramatiques de la crise pour les ménages les plus précaires ?

Plus de mesures s’imposent : il faut d’abord renforcer les aides pour garantir l’accès immédiat aux services énergétiques fondamentaux et engager rapidement les chantiers structurants pour prévenir durablement les risques de précarité énergétique. De toute urgence, il est par exemple possible de renforcer les dotations financières des Fonds de solidarité logement (FSL) pour répondre à l’afflux de demandes à venir. Tous les fournisseurs d’énergie doivent d’ores et déjà participer financièrement aux fonds – tel que le prévoit la loi bien que certains d’entre eux ne s’y astreignent pas – ainsi que l’Etat qui peut apporter une dotation supplémentaire exceptionnelle. Un chèque énergie exceptionnel pour limiter le recours aux services sociaux et leur engorgement pourrait également être mis en place.

« Il est urgent et nécessaire d’agir dès maintenant sur les causes de la précarité énergétique en engageant la rénovation énergétique des logements »

Ces mesures sont indispensables à court-terme mais il est tout aussi urgent et nécessaire d’agir dès maintenant sur les causes de la précarité énergétique en engageant la rénovation énergétique des logements et en priorité des passoires énergétiques ! Pour les ménages en situation de précarité, cela doit se traduire par des aides aux travaux de rénovation très performante avec reste à charge 0 pour les ménages les plus pauvres, à rebours des décisions prises depuis 2018 (avec la suppression de l’allocation logement accession-travaux, et le plafonnement des aides nationales et des Certificats d’économie d’énergie avec la réforme MaPrimeRenov’).

De plus en plus d’acteurs plébiscitent la rénovation globale des passoires énergétiques.

Oui, c’est à l’Etat de fixer enfin un cadre pertinent et d’investir massivement dans l’efficacité énergétique/ Il le faut ! L’éradication de la précarité énergétique qui touche des millions de ménages permettrait de créer plus de 100 000 emplois non délocalisables, d’améliorer la santé des habitants, d’économiser 800 millions d’euros par an de soins et 500 euros de chauffage par ménage, de réduire l’empreinte carbone et la dépendance énergétique de la France. Un chantier majeur pour améliorer le quotidien des Français, notamment des plus précaires. La rénovation doit aussi inclure le déploiement des énergies renouvelables pour la chaleur et le froid.

Nous proposons également que soient généralisés les bâtiments très performants (niveau Bâtiment Basse Consommation) en rendant la rénovation énergétique globale progressivement obligatoire. Cette obligation de rénovation est incontournable car la politique incitative depuis dix ans qui est poursuivie par le gouvernement actuel n’a pas permis de massifier la rénovation énergétique et d’atteindre la trajectoire nécessaire (le budget carbone du secteur bâtiment a ainsi été dépassé de 14,5 % en 2018). Pour la rendre possible et acceptable, l’obligation de rénovation doit bien sûr être accompagnée des aides financières et de l’accompagnement opérationnel à la hauteur de cette ambition, notamment pour les ménages modestes qui ne doivent pas être pénalisés.

Comment mettre en place une telle obligation de rénovation ?

Elle doit être introduite progressivement, en donnant des échéances claires et suffisamment proches pour que l’ensemble des acteurs s’y préparent réellement. Pour les copropriétés et bailleurs sociaux ou privés, dans les passoires thermiques (étiquettes énergie actuelles F et G), il est possible de rendre obligatoire la rénovation globale d’ici 2030, tout en bloquant dès 2021 l’augmentation des loyers des passoires énergétiques, lors des changements de locataires tant que le logement n’est pas rénové, et en interdisant la remise en location de ces passoires à partir de 2023. En 2030, il faudrait pouvoir sanctionner les copropriétaires et bailleurs s’ils n’ont pas rénové (par exemple via un malus dissuasif sur la taxe foncière). Pour les propriétaires occupants de maisons individuelles : il est possible de rendre obligatoire la rénovation globale au moment des transactions immobilières à partir de 2024.

Nos propositions pour sortir de la crise du Covid-19

En bref, voici les mesures préconisées par le CLER – Réseau pour la transition énergétique, pour faire face à la précarité énergétique dans le contexte de crise sanitaire et économique :

  • le renforcement des dotations financières des Fonds de Solidarité Logement (FSL)
  • un chèque énergie exceptionnel
  • un investissement massif dans l’efficacité énergétique des logements
  • une obligation de rénovation des passoires pour les copropriétés, les bailleurs ou les propriétaires occupants.

  • Contact

    Marie Moisan

    Coordinatrice du Réseau Rappel

    marie.moisan[arobase]cler.org

    Lire aussi : la lutte contre la précarité énergétique au cœur de l’action des collectivités territoriales

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