Conversations carbone : discuter pour mieux changer

Nées au Royaume-Uni en 2006, les Conversations carbone s'installent en France. Sous l'impulsion de LaRevueDurable, des Artisans de la transition et de l'Institut négaWatt, 130 citoyens ont déjà été sensibilisés à l'aide d'une méthode de sensibilisation qui associe une approche psychologique et des connaissances technico-pratiques.

Dans leur bureau avec vue sur la mer à Lorient, Lisa Croyère et Ruby Ganchou de l’Agence locale de l’énergie de Bretagne sud conservent des documents un peu spéciaux. Leurs manuels estampillés « Conversations carbone » ont été conçus et écrits en Angleterre par la psychologue Rosemary Randall et l’ingénieur Andy Brown puis traduits, imprimés et reliés par l’association Conversations carbone. « Tout est hyper cadré, racontent-elles en tournant quelques pages. Nous n’avons rien le droit de changer. Nous pouvons sélectionner tel exercice plutôt qu’un autre mais nous devons suivre le déroulé proposé. » Si Lisa et Ruby ont reçu ce matériel, c’est parce qu’elles font partie de la trentaine de facilitateurs des Conversations carbone en France.

Vers un changement pérenne

L’histoire du projet commence de l’autre côté de la Manche en 2005. Lors d’une conférence, Rosemary Randall met en avant les mécanismes qui poussent à l’inaction malgré les alertes incessantes sur le changement climatique. Face au danger, certains préfèrent faire l’autruche. Avec Andy Brown, son mari ingénieur, elle décide de recueillir la parole de 3000 habitants de Cambridge et s’inspire des résultats pour créer une méthode de sensibilisation : des groupes de huit personnes qui discutent six fois deux heures sous la houlette de deux facilitateurs. Au Royaume-Uni, les Conversations ont ainsi été suivies par plus de 5000 personnes.

« La force de ces conversations, c’est la dimension introspective. Il s’est passé quelque chose pendant ces réunions ! »

En France, ce sont les Amis de LaRevueDurable qui ont importé l’idée. « Ils sont venus nous voir en 2014, raconte Laure Charpentier de l’Institut négaWatt. Notre scénario ne se limite pas aux données ingénieures. Pour encourager la sobriété, cela passe aussi par les sciences humaines et sociales. » Laure Charpentier participe au groupe test constitué en Biovallée en octobre 2014. « La force de ces conversations, c’est la dimension introspective, se souvient-elle. Il s’est passé quelque chose pendant ces réunions. Sur neuf participants, sept ont voulu devenir facilitateurs ! »

Deux autres groupes sont constitués en 2016, toujours dans la Drôme. « C’est un territoire déjà orienté développement durable, souligne Laure Charpentier. On a voulu aller voir si cela prenait ailleurs aussi. » En septembre 2017, une formation de facilitateur est donc proposée à cinq binômes venus de Lorient, de Lille, de la Drôme et du Vercors. Avec une trentaine de facilitateurs désormais habilités, l’association fondée en 2016 par l’Institut négaWatt, LaRevueDurable et les Artisans de la transition a déjà sensibilisé 130 participants répartis en 15 groupes de conversation sur neuf territoires.

Boîte de mouchoirs

A Lorient, les facilitatrices se sont lancées dès leur retour de formation en organisant leurs groupes de parole dans des cafés cosy du centre ville, à partir d’octobre 2017. « Chaque activité dure une dizaine de minutes ce qui évite aux participants de s’ennuyer et de se décourager », souligne Lisa Croyère. Les séances se succèdent dans un ordre établi : l’avenir à faible carbone, l’énergie à la maison, la mobilité, l’alimentation et l’eau, les déchets puis l’élaboration d’un plan individuel de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. « Lors de nos trois jours de formation, on nous avait dit de prévoir une boîte de mouchoirs pour les réunions, se souvient Ruby. Je n’y croyais pas trop mais les discussions sont si intimistes que certaines personnes peuvent effectivement se mettre à pleurer. »

« La graine est plantée. Après, elle fleurit… ou pas. Pour le changement, on dit qu’il faut trois ans »

Quels changements peut-on attendre de ces échanges ? « La graine est plantée, résume-t-elle. Après, cela fleurit… ou pas. Pour le changement, on dit qu’il faut trois ans. Il faudrait faire un bilan avec nos premiers groupes dans quelques mois. En tout cas, les retours sont positifs et plusieurs participants ont émis l’envie­ d’animer à leur tour des conversations. » Reste un frein : le prix. La formation de facilitateur coûte 1800 euros, jusque là financée par les collectivités. Faut-il garder la dimension professionnelle de la méthode quitte à pousser les collectivités à libérer des salariés pour mener les groupes de discussions ou fonctionner, comme les Anglais, sur un système de réseau de proximité bénévole ? « La décision devrait être prise avant fin 2018 », conclut Laure Charpentier.

Par Claire Le Nestour, journaliste

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Cet article est extrait du CLER Infos n°120

Pendant longtemps, l’énergie était le pré-carré des ingénieurs, et de débats, il n’y en avait point. Finie, cette confiscation des enjeux énergétiques ! Face aux menaces des changements climatiques sur notre environnement, nous sommes tous des acteurs de la transition. Pour diminuer nos consommations d’énergie et produire des énergies renouvelables, il faut « agir », le faire vite, mais surtout ensemble. En un mot : coopérer. Sensibiliser et mobiliser sont des missions qui relèvent d’une délicate science humaine et requièrent du travail sur soi et de l’humilité. Comment ça marche ? C’est LA question que nous nous posons tous ! Voici quelques pistes et expérimentations venues des territoires. Un dossier à retrouver dans le CLER Infos n°120.

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