Chantal Labruyère : « Le moindre changement de réglementation impacte le développement des emplois verts »

Le Centre d'étude et de recherche sur les qualifications (Céreq) a réalisé pour le compte du Commissariat général au développement durable, une série de travaux relatifs à la transition énergétique, coordonnés par Chantal Labruyère.

Des obstacles politiques mais aussi économiques et sociétaux peuvent entraver le développement de certaines éco-activités, selon la chercheuse qui s’appuie sur l’exemple des difficultés de déploiement de l’éolien en France. S’il est difficile d’anticiper précisément les volumes d’emploi créés par ces nouvelles filières, de nombreux acteurs se mobilisent pour identifier les nouvelles compétences qui seront nécessaires pour accompagner la transition énergétique, et faire évoluer les formations en conséquence. Et cela, dans tous les secteurs. Interview.

Comment mesure-t-on le vivier d’emplois de la transition énergétique ?

La prospective quantitative dans les eco-activités est très difficile car le développement de nombreuses filières d’avenir (comme les énergies alternatives, la filière gestion/valorisation des déchets, la chimie verte…) dépend d’abord de facteurs externes non maîtrisables. Ainsi en période de baisse du prix du pétrole, les investissements liés aux énergies alternatives, dont le prix de revient reste encore assez élevé, s’effondrent car l’équilibre économique des projets n’est plus assuré.

Ce qui impacte également le rythme de croissance de ces nouvelles filières, ce sont les variations dans la réglementation et les normes applicables à ces activités, ainsi que dans les tarifs de rachat de l’électricité, liées aux alternances politiques : ce qu’un gouvernement peut faire, l’autre peut le défaire. Dans un contexte réglementaire donné, on prévoie d’installer 50 000 éoliennes et dans un autre, on n’en installe plus que 10 000. Les investisseurs naviguent à vue.

En matière d’énergie alternative, il ne faut enfin pas oublier les obstacles sociétaux et la capacité de résistance d’un certain nombre d’associations qui s’opposent au développement de certaines technologies. L’acceptabilité sociale est une dimension que les investisseurs doivent prendre en compte quand ils se lancent dans de nouveaux projets.

Certaines filières ne sont-elles pas, néanmoins, prometteuses ?

Oui, c’est le cas par exemple des énergies marines renouvelables, qui comprend l’éolien offshore que nous avons étudié (voir encadré), mais les technologies de demain sont encore pour la plupart en phase de recherche et développement : en termes d’emplois créés, c’est donc encore du côté des bureaux d’étude qu’il faut regarder ; pour ce qui est de la fabrication des nouveaux équipements et de leur fonctionnement, le volume des emplois à venir dépendra largement de choix stratégiques encore non arrêtés. On parle beaucoup du stockage de l’énergie qui sera décisif pour le développement des voitures électriques ou pour le mix énergétique, mais là encore, on est au stade de la conception et on ne sait pas quel impact cela aura sur le plan industriel. Pour les services écologiques et de la biodiversité (ambassadeurs de tri, conseil en économie d’énergie…), le secteur privé peine à trouver un modèle économique. Or, la puissance publique a de moins en moins de moyens pour soutenir la création de ce genre d’emplois, largement portés par le secteur associatif.

Quel impact va avoir la Loi de transition énergétique pour la croissance verte ?

Elle devrait être déterminante dans le BTP, pour la rénovation thermique des bâtiments. Avec les accompagnements fiscaux prévus, si les bailleurs publics et privés appliquent cette loi, cela devrait déclencher de nouveaux marchés. Mais le BTP est en crise depuis 2008, et dans le creux de la vague en termes de constructions neuves, ces dispositifs risquent donc de redonner des emplois à ceux qui en avaient perdus… sans en créer d’autres. Il ne faut pas s’attendre à un appel d’air considérable. Sur les chantiers par contre, cela risque de changer la nature des emplois et donc créer de nouveaux besoins de qualification de la main d’oeuvre. On aura besoin de plus de personnes spécialisées dans l’isolation externe des façades, sur l’installation de système photovoltaïque…

Les Régions ont une meilleure visibilité sur les nouveaux emplois à venir.

Comment anticiper ces mutations professionnelles ? Est-ce à l’échelle régionale qu’il faut agir ?

Ce qui est difficile à l’échelle nationale, est moins difficile à l’échelle régionale, plus proche des territoires, au moins sur le moyen terme. Les acteurs régionaux ont une meilleure connaissance des projets qui sont dans les cartons, même s’il se passe souvent plus de cinq ans entre la naissance d’un projet et sa réalisation. Les Régions ont donc une meilleure visibilité sur les nouveaux emplois à venir grâce à leurs divers services qui sont là pour soutenir le développement économique, le développement durable, la formation et l’insertion sociale ou encore l’économie sociale et solidaire. Ils peuvent également croiser les informations venant de Pôle Emploi et son suivi qualitatif des emplois verts. Si on arrive à faire se parler tous ces acteurs, il devrait être possible d’avoir une vue fine pour anticiper les besoins émergents, le volume d’emploi et leur nature. C’est aussi, d’ailleurs, le rôle des Observatoires régionaux emploi-formation que de les y aider.

De quels types d’emplois parle-t-on ?

C’est plus facile de déterminer la nature et le contenu des emplois de la transition énergétique que leur nombre. On peut les analyser par grandes fonctions (emplois de conception, de maintenance, de gestion, de commercialisation…) ou par niveau de qualification : en phase de développement d’un projet, on a besoin d’ingénieurs, puis dans le suivi des activités, et l’opérationnalisation, on a besoin de techniciens supérieurs ou d’opérateurs. Il peut y avoir de nouveaux emplois mais ce sont surtout des métiers existants qui vont évoluer dans leur contenu en prenant compte des problématiques de développement durable.

Dans le BTP, pratiquement tous les métiers sont impactés. Des métiers classiques dans lesquels il va falloir injecter de nouvelles compétences, parce qu’il faut utiliser de nouveaux matériaux ou tenir compte de la réglementation qui évolue. Dans la plupart des branches professionnelles, les observatoires prospectifs des métiers et qualifications (OPMQ) conduisent des enquêtes pour identifier ces changements et aider les entreprises à anticiper l’évolution des compétences.

Comment les organismes de formation se mobilisent-ils ?

Pour ce qui est des diplômes professionnels de l’Education nationale, leur contenu est actualisé régulièrement grâce au travail réalisé au sein des commissions professionnelles consultatives (CPC) qui regroupent, par grand champ professionnel, les représentants des branches et l’administration. Certains diplômes sont rénovés en profondeur, comme par exemple le BTS maintenance industrielle, qui propose depuis 2013 une option « éolien ». D’autres plus modestement.

En analysant les référentiels de diplômes actualisés depuis 2007, nous avons pu montrer qu’a minima la réglementation en matière d’environnement et de gestion des déchets était évoquée dans la totalité des diplômes, du CAP au BTS. Pour les formations qualifiantes destinées aux demandeurs d’emploi, le ministère du Travail veille également à l’actualisation de l’ensemble de ses titres professionnels, au sein de ses propres CPC, en mobilisant des spécialistes de l’analyse du travail. Et propose également de nouvelles formations, comme par exemple le titre d’agent technique de déchetterie ou de chargé d’affaire en rénovation énergétique du bâtiment.

L’enseignement supérieur de son côté n’est pas en reste et les universités proposent de très nombreuses formations qui font référence au développement durable et à la transition énergétique dans leur intitulé, en licence professionnelle ou en master. Elaborées par des enseignants qui sont aussi des chercheurs, ces formations contribuent à diffuser les nouvelles connaissances développées dans les laboratoires de recherche, qui sont nombreux à travailler sur des problématiques du développement durable, dans différentes disciplines.

Quand l’éolien prend la mer : un vent nouveau sur des métiers existants

L’émergence de la filière industrielle des énergies marines renouvelables (EMR) ne crée pas à proprement parler de nouveaux métiers. Elle est cependant susceptible de venir transformer ceux pour lesquels les entreprises peinent à recruter, en redistribuant leur socle de compétences et en recomposant l’offre de formation. Elle favorise aussi de nouvelles dynamiques de professionnalisation que le travail en mer rend indispensables, comme l’illustre le métier de technicien de maintenance éolienne. Bref du Céreq – n°336 – juin 2015.

Cereq.fr
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Cette interview est extraite du CLER Infos #108

Économiser l’énergie et développer les renouvelables : l’enjeu n’est pas qu’énergétique, il est aussi social. Plusieurs études démontrent qu’un modèle énergétique plus sobre et moins polluant pourrait générer 240 000 emplois en France d’ici 2020 (Cired) et 825 000 d’ici 2050 (Ademe). Comment anticiper ces transitions professionnelles et faire évoluer l’offre de formations ?

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