Le soutien public aux renouvelables doit aussi être évalué au regard de ses bénéfices sociétaux

La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a rendu le 17 juillet des délibérations sur les charges de service public de l'énergie pour 2020 et 2021. Soutien public des énergies renouvelables, aides publiques aux fossiles, le CLER analyse les chiffres de la CRE au regard des enjeux de transition énergétique et des objectifs de la PPE.

De quoi s’agit-il ?

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a rendu le 17 juillet des délibérations sur les charges de service public de l’énergie pour 2020 et 2021 (voir en ligne sur son site). Pour rappel, les obligations de service public assignées aux entreprises du secteur de l’électricité et du gaz par le code de l’énergie les conduisent à supporter des charges compensées par l’État :

  • en électricité : les charges de service public regroupent les surcoûts résultant des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables et à la cogénération, les surcoûts liés à la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées (ZNI), et enfin les surcoûts liés à certains dispositifs sociaux bénéficiant aux ménages en situation de précarité et les surcoûts liés au soutien à l’effacement ;
  • en gaz, les charges de service public regroupent les surcoûts liés à certains dispositifs sociaux bénéficiant aux clients en situation de précarité et les surcoûts résultant de l’obligation d’achat de biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel.
vue-du-village-de-scho%cc%88nau-dans-la-fore%cc%82t-noire-c-ews
Vue de Schönau (c) EWS

Il est important de noter que la contribution au service public de l’électricité (CSPE) figurant sur la facture d’électricité ne finance plus les énergies renouvelables. Suite la réforme de l’ancienne CSPE en 2016 , il s’agit désormais d’une taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité , dont le produit revient directement au budget général de l’Etat. La TICFE reste abusivement nommée CSPE malgré la réforme.

Depuis 2016, le financement du soutien aux énergies renouvelables est intégré au budget de l’État par l’intermédiaire du compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » (dit CAS TE), financé par une partie des recettes des taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et le charbon (TICC) ainsi que par le produit de la mise aux enchères des garanties d’origine par l’État. Le reste des charges de service public de l’énergie (à savoir la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées, le soutien à la cogénération au gaz naturel et les dispositifs sociaux ) est financé au travers du budget général. Par vote, lors de la loi de finances 2020, la suppression du CAS TE est prévue au 1er janvier 2021 avec inscription de toutes les charges de service public de l’énergie au sein d’un programme budgétaire dédié. La pertinence de cette décision reste à prouver tant sur la lisibilité des dépenses, sur l’amélioration effective du soutien aux énergies renouvelables, que sur la cohérence globale des politiques publiques en matière de transition écologique.

Les charges de service public de l’énergie participent encore à la destruction du climat et de l’environnement

A noter en propos liminaire que les charges de service public de l’énergie intègrent le soutien à la production d’électricité à partir d’énergies fossiles, à hauteur d’un prévisionnel de 1 553 M€ pour 2020, au titre des mécanismes de solidarité dans les zones non interconnectées (Corse, Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Guyane, Mayotte, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre et Miquelon, Saint Martin, Saint Barthélémy, les îles bretonnes de Molène, d’Ouessant, de Sein et l’île anglo-normande de Chausey). Il s’agit à peu près du montant du soutien à l’éolien terrestre en métropole. Même si l’augmentation prévue en 2021 du soutien dans les ZNI du volet « transition énergétique » y illustre le développement des EnR, le soutien à l’électricité d’origine fossile – aides publiques à la destruction du climat et de l’environnement – décroît à un rythme trop lent. Rappelons que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a fixé comme objectif de parvenir à l’autonomie énergétique dans les départements et régions d’outre-mer à l’horizon 2030 : un horizon 100 % énergies renouvelables et locales avec un véritable projet de territoire est possible dans les territoires insulaires, comme en atteste le projet porté par le collectif Ile de Sein Énergies.

Quels montants sont affectés au développement des renouvelables électriques et du biométhane injecté ?

Pour 2019, les charges s’élèvent à 8 151 M€, en augmentation de 6% par rapport au prévisionnel, du fait de prix de marché plus bas que prévus. Le soutien aux renouvelables électriques et biométhane injecté correspond à 65% du total.

Pour 2020, les charges s’élèvent à 8 851 M€, en augmentation de 12% par rapport au prévisionnel initial (soit 921,1 M€), à nouveau du fait de prix de marché plus bas que prévus et d’une météorologie favorable à l’éolien terrestre. Le soutien aux renouvelables électriques et biométhane injecté correspond à 68% du total.

Pour 2021, les charges prévisionnelles s’élèvent à 9 135 M€, en augmentation de 3% par rapport au nouveau prévisionnel 2020. L’augmentation s’explique à la fois par le développement des capacités EnR installées (électriques et gaz renouvelable) ainsi que par des prix bas de l’électricité prévus. Avec la régularisation pour les années 2019 et 2020, le montant total des charges de service public de l’énergie est donc évalué à 10 561 M€.

A l’heure où la France doit sérieusement améliorer les mécanismes de soutien au développement des renouvelables électriques et thermiques pour s’inscrire sur une trajectoire cohérente avec ses engagements européens 2020 et 2030, l’augmentation du soutien public aux EnR – et son caractère prétendument déraisonnable – doit être contrebalancé par le refus systématique de l’État face aux propositions d’évolution des conditions de financement des renouvelables : augmentation du seuil des guichets ouverts, modulation géographique des tarifs d’achat pour favoriser un développement plus équilibré des différentes filières, bonus pour les projets citoyens et levée des freins à l’investissement des collectivités, augmentation des volumes des appels d’offres, etc.

En 2019, le Comité de gestion des charges de service public de l’électricité considérait comme nécessaire de resituer « les enjeux afférents aux charges de service public de l‘énergie dans le contexte global de la transition énergétique, en interface avec les politiques publiques d’aménagement et de développement économique des territoires ainsi que l’objectif de protection du consommateur ». Ce travail est encore à mener, comme l’illustrent l’analyse sur la filière du biométhane injecté ou la filière du solaire photovoltaïque.

unite-agribiomethane-a-mortagne-sur-sevre-c-agribiomethane
Unité agribiométhane à Mortagne-sur-Sèvre (c)Agribiométhane

Les objectifs et la trajectoire pour le biométhane doivent être revus

La somme des prévisions réalisées par les différents acheteurs de biométhane atteint 6 TWh en 2021 d’après la CRE, soit le niveau de production fixé pour 2023 par la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE). Cela témoigne du dynamisme de la filière, que l’Etat n’a pas pris en compte avec des objectifs PPE trop faibles malgré les alertes des acteurs des territoires, ainsi que par une trajectoire tarifaire inadaptée. La CRE précise que « la dynamique qu’est amenée à connaitre cette filière doit conduire les pouvoirs publics à la plus grande vigilance sur le bon dimensionnement des dispositifs de soutien pour assurer le développement de la filière en maîtrisant l’impact budgétaire ». Elle ajoute par ailleurs que « les prévisions portant sur le biométhane injecté soutenu en 2021 atteignent déjà les objectifs fixés en 2023 par la programmation pluriannuelle de l’énergie. Le niveau trop élevé du soutien à ces projets, non modifié depuis 2011, rend incompatible les objectifs de production de biométhane et l’enveloppe budgétaire inscrite dans la programmation pluriannuelle de l’énergie à l’horizon 2028 ». En effet, la révision tarifaire annoncée par le Ministère sans calendrier précis crée un embouteillage des projets, qui risque d’être préjudiciable tant pour la qualité des projets, les filières d’approvisionnement en matière fermentescible que pour les finances publiques. Le développement de la filière ne peut s’analyser au prisme unique des coûts, sans tenir compte des co-bénéfices pour les territoires, pour l’environnement ou encore pour la transition agricole. Partant de cela, et en tenant compte de l’impact budgétaire global, il est nécessaire d’anticiper sur l’objectif 2028 inscrit dans la PPE pour le biométhane dès 2023, à inscrire par ailleurs dans l’enveloppe globale de soutien prévue pour le biométhane de 9,7 Mds€, sans dépense supplémentaire d’ici 2028.

dcim100mediadji_0003-jpg
Toiture solaire à Muttersholtz – (c) Benjamin Renaudet

Le soutien au solaire photovoltaïque doit aussi s’apprécier pour sa contribution à l’appropriation citoyenne de la transition énergétique

La CRE « tient à souligner le poids de la bulle photovoltaïque constituée avant le moratoire de décembre 2010 et l’importance qu’il y aurait à tenter de le réduire. En effet, les installations bénéficiant d’un dispositif de soutien antérieur au moratoire, dont le tarif d’achat moyen est de 510 €/MWh, représentent 73 % des charges et 38 % de l’énergie photovoltaïque soutenue au titre de 2019. Pour atteindre les objectifs de politique énergétique en tenant compte du montant des charges à financer par le budget de l’État, il apparait nécessaire de faire des choix quant aux installations à soutenir en fonction notamment du coût de leur soutien. À titre d’exemple, le petit photovoltaïque est encore soutenu à hauteur de 185 €/MWh alors que les plus grands projets au sol le sont à moins de 60 €/MWh. La fin – nécessairement progressive pour accompagner la filière – du soutien direct aux installations de moins de 9 kWc devrait ainsi être étudiée dans les plus brefs délais ». Le soutien à la filière photovoltaïque (PV) représente pour 2020 la moitié des charges liées aux EnR en métropole continentale et un tiers des charges totales. Le développement rapide du solaire PV permis par les différents mécanismes de soutien (arrêtés tarifaires et appels d’offres) a largement contribué à l’augmentation des charges constatées sur la dernière décennie. Entre 2009 et 2019, les charges liées au soutien aux EnR en métropole continentale sont ainsi passées de 613 M€ à 5 029 M€. Concernant la filière solaire PV, il convient de distinguer les soutiens engagés avant le moratoire de 2010 qui ont mené à la création d’une bulle spéculative et pèsent encore aujourd’hui pour près de 25 % des charges en 2019, et les soutiens engagés après le moratoire, nettement moins onéreux. Ainsi, le photovoltaïque pré-moratoire présente un coût unitaire de soutien de près de 500 €/MWh quand le coût unitaire de soutien de l’éolien terrestre se situe entre 46 et 52 €/MWh et le photovoltaïque post 2010 entre 81 et 91 €/MWh. Si la poursuite du développement des petites installations photovoltaïques en toiture via le maintien d’un mécanisme de soutien en guichet ouvert représente un volume relativement faible (à peine plus de 10 % du rythme anticipé pour l’ensemble de la filière), son impact budgétaire reste significatif du fait de ses coûts de production supérieurs (entre 30 et 50 % de l’impact budgétaire des nouveaux engagements photovoltaïques). Ce coût important doit être apprécié au regard de la valeur sociétale du photovoltaïque de petite puissance, et de sa participation à l’implication et la participation des citoyens dans la transition énergétique, comme en témoignent les 161 projets solaires collectifs et citoyens recensés par Énergie Partagée, portés par plus de 13 000 citoyens et près de 300 collectivités. La transition énergétique sera territoriale et le développement des renouvelables, tout comme les mécanismes de soutien, doivent prendre en compte et s’ajuster à cette dimension territoriale et géographique.

olympus-digital-camera-6
Eoliennes dans le Parc des Grands Causses

Quel besoin futur de soutien public aux énergies renouvelables électriques ?

Le besoin de financement public des ENR électriques dépend de plusieurs facteurs qu’il convient de prendre en compte pour anticiper ces besoins (coûts de production des ENR, prix des marchés de l’énergie, prix du CO2, …). Comme précisé plus haut, la forte sensibilité du soutien public aux EnR au prix du marché de l’électricité est à nouveau illustrée par la délibération de la CRE. L’actuelle PPE 2023-2028 parue en avril 2020 fait courir le risque de déréguler le marché de l’électricité en organisant une surproduction (et donc une forte baisse du prix de l’électricité), faute d’acter des fermetures de réacteurs nucléaires cohérentes avec la baisse attendue et nécessaire des consommations et l’essor des renouvelables. Elle risque de remettre en cause les équilibres économiques pour l’ensemble du marché et pour les différentes filières, avec à la fois un risque de périclitation (risques de faillites des producteurs, arrêt des investissements pour préparer l’avenir…) et un renchérissement global du système électrique pour l’ensemble de la société. Au-delà des renouvelables, c’est donc bien de l’ensemble du système électrique et du service public de l’énergie dont il est question.

Le besoin de financement public pour le développement des énergies renouvelables électriques devrait augmenter jusqu’en 2025-2030, avec un pic qui s’établit entre 6,5 et 8,5 Mds€ courants (Iddri et Agora Energiewende, 2019). Dans sa publication sur la relance pour financer l’action climat, I4CE estime le besoin en financement public (État, agences, collectivités et banques publiques) supplémentaire aux EnR électriques et au gaz renouvelable à environ 0,8 Mds€/an d’ici 2023 puis 1,2 Mds€/an d’ici 2028, et stimuler l’investissement privé (I4CE, 2020). La France pourrait donc augmenter à 60 % la part d’énergies renouvelables dans son mix électrique en 2040 (et au moins 40 % en 2030) tout en atteignant, en 2025, son pic de soutien public à 6,5 Mds€ par an. Ce montant diminuerait rapidement après 2030 car les deux tiers du soutien public correspondraient aux projets éoliens et solaires attribués avant 2018, alors que la mise en service des nouveaux projets (notamment pour le solaire photovoltaïque au sol et l’éolien en mer) devrait avoir un coût fortement réduit, voire négligeable. Sans parler ici des nombreux autres co-bénéfices ni même des territoires (développement local et structuration de filière, emplois pérennes, ressources financières, etc.), ils pourraient même rapporter de l’argent à l’État.

Comme le précisait en 2019 Marie-Laure Lamy, co-présidente du CLER, dans un entretien sur ce même site : « Aujourd’hui, la politique de soutien française aux renouvelables est plus efficace (que par le passé). Cependant, il faut bien avoir en tête deux éléments fondamentaux : d’une part, le coût du soutien public dépend principalement du prix du marché de l’électricité, et d’autre part, l’efficacité ne se mesure pas qu’avec le seul critère du coût, mais aussi en regardant les impacts et les co-bénéfices pour les territoires ».

Contact

Alexis Monteil

Responsable de projets ENR

alexis.monteil[arobase]cler.org