Rénovation énergétique : entretien avec Andreas Rüdinger

Pour ce spécialiste des politiques énergétiques et chercheur associé à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales, la France est à la traîne sur ses objectifs en matière de rénovation énergétique performante. Il suggère de s’inspirer des exemples de nos voisins européens pour repenser les dispositifs d’aides de manière à encourager les projets les plus globaux.

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Comment qualifieriez-vous les performances françaises en termes de rénovation énergétique ?

Si je veux voir le bon côté des choses, je dirais que la France s’est fixé des objectifs cohérents avec ses engagements de neutralité climatique, le potentiel de son parc immobilier et ses enjeux de justice sociale. Mais pour le reste je rejoins les récentes conclusions de la mission d’information parlementaire sur la rénovation thermique : nous sommes très loin du compte tant sur le nombre que sur l’ambition des travaux réalisés ! Qui plus est, nous ne savons pas réellement quantifier le delta entre le rêve et la réalité, faute d’outils de suivi des dispositifs d’aides et de dispositifs d’évaluation de l’efficacité énergétique des travaux engagés…

Qu’en est-il des ambitions en matière de rénovations globales ?

Sur ce point aussi la France est en retard sur ses objectifs. La faute sans doute à un reste à charge qui demeure trop élevé pour la majorité des ménages et à des dispositifs d’aides peu lisibles. Mais surtout je suis convaincu que ces résultats en demi-teintes sont le fruit de la stratégie du « en même temps » qui guide les politiques publiques sur ce sujet, comme sur d’autres : comment peut-on espérer voir les Français adhérer au forfait performance globale si on continue à financer les monogestes à des conditions finalement plus avantageuses ? Et je voudrais aussi souligner l’effet désastreux du coup de pouce à 1 euro sur l’isolation. Cela a créé un marché pour des travaux de qualité médiocre et instauré une culture de la gratuité dont il sera difficile de sortir.

D’autres pays semblent être dans une situation plus favorable… Qu’en est-il réellement ?

Je tiens d’abord à signaler que je ne connais aucun pays qui soit réellement à l’heure de ses objectifs…  mais certains sont plus avancés que d’autres et leurs exemples peuvent ouvrir des pistes de réflexions aux décideurs français. C’est le cas spécialement de la Suède, qui est en bonne voie pour réussir à décarboner le chauffage de l’ensemble de ses bâtiments d’ici à 2030. Si les bons résultats suédois doivent beaucoup aux choix politiques effectués il y a 70 ans en faveur d’un déploiement à grande échelle des réseaux de chaleur, d’autres types de décisions pourraient cependant nous inspirer, à commencer par la priorité donnée au signal prix. En effet la taxe carbone entrée en vigueur en Suède depuis 1991 a considérablement accéléré la prise de conscience générale et favorisé le passage à l’acte des citoyens et des acteurs économiques.

Et quid de l’Allemagne ?

Outre-Rhin, ce qui me semble intéressant, c’est l’articulation du dispositif d’aides, étroitement conditionnée par la performance réelle des travaux : plus le projet est ambitieux, plus il reçoit d’aides. Ainsi chaque projet est prévalidé par un tiers de confiance et les performances sont évaluées à l’issue du chantier. En France on a longtemps cru que les banques pourraient tenir le rôle de validation de projet de travaux, avant de le transférer aux artisans labellisés RGE. Par ailleurs l’Allemagne semble avoir relevé le défi de la rénovation performante en misant entre autres sur un dispositif d’aides articulé autour de labels de performance énergétique à atteindre. Ça pourrait être une idée à creuser.

Tous les pays européens ne sont pas des bons élèves. Y-a-t-il quelque chose à apprendre de ceux qui sont à la peine ?

Je pense en particulier au modèle anglais. Trop complexe et peu attractif  financièrement pour les ménages, le Green Deal (mécanisme initié en 2013 et abandonné en 2015) adossé à un financement par des opérateurs privés a été un échec. Tout comme leur expérience récente d’interdire la mise en location des passoires thermiques, qui s’est heurtée à l’absence de dispositif de soutien pour les propriétaires modestes et au manque de moyens d’identification et de contrôle. Mais tout n’est pas négatif dans l’exemple britannique. Il me semble que nous gagnerions à regarder de près leur approche de « marketing » de la rénovation énergétique. Ils ont une vision très intégratrice qui embrasse toutes les problématiques de rénovation, jusqu’à la décoration. Je partage cette vision : si l’on souhaite embarquer toujours plus de ménages, il faut faire appel à l’envie et pas seulement à la raison, afin d’embarquer la performance énergétique dans tous les projets de rénovation !

Globalement, quelles seraient vos recommandations ?

Dans un monde idéal, je rêverais qu’on remette à plat le système d’aides en faveur d’une formule unique centrée sur l’accompagnement des rénovations globales. Mais j’ai bien conscience que ce n’est pas dans l’état d’esprit actuel… Alors peut-être faudrait-il trouver un équilibre moins favorable aux monogestes et plus encourageant pour les projets ambitieux. Je sais que je ne suis pas seul à porter cette vision. Récemment, le rapport de la Task Force Sichel (directeur adjoint de la Caisse des Dépôts) a proposé que les aides publiques soient structurées avec une double progressivité (performance, revenus) avec le reste à charge en clé d’entrée. C’est une idée qui me semble aller dans le bon sens !

 

Une « vague de rénovation » pour l’Europe

Chaque année seul 1% du parc de bâtiments européen fait l’objet d’une rénovation énergétique… C’est très insuffisant pour atteindre l’objectif de neutralité carbone européen de 2050. Pour changer la donne, la Commission Européenne s’est dotée en octobre dernier d’une stratégie baptisée « vague de rénovation » dont l’objectif est de doubler le taux de rénovation des bâtiments résidentiels et non résidentiels dans l’UE au cours des dix prochaines années et de s’assurer que les rénovations conduisent à une meilleure efficacité énergétique D’ici à 2030, 35 millions d’immeubles devront ainsi être rénovés au sein de l’Union, via un faisceau d’actions qui vont du renforcement de la réglementation à la création de quartiers « zéro énergie ».

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