Interdisons la mise en location des passoires énergétiques

En France, 12 millions de citoyens souffrent de précarité énergétique. En première ligne, les locataires du parc privé sont aujourd'hui dans l'angle mort des politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Pour les protéger, le CLER – Réseau pour la transition énergétique demande la création d'un droit universel à un logement décent, à la facture abordable - et l'interdiction de la mise en location des passoires énergétiques.

En France, 3,1 millions de logements mis en location (soit 47 % du parc locatif privé) sont des passoires énergétiques correspondant aux étiquettes énergétiques F ou G. Leurs locataires ont souvent des ressources modestes ou très modestes : un tiers (1,1 million) appartient aux trois déciles de revenus les plus bas –  soit 15 000 euros annuels (Enquête Phébus cité par l’Initiative Rénovons). Pour ces Français qui souffrent du froid dans un logement aux mauvaises qualités thermiques, l’intérêt de rénover le logement n’est plus à démontrer : ces travaux leur permettraient d’augmenter leur qualité de vie, d’améliorer leur santé et de baisser le montant de leurs factures d’énergie. Mais, tributaires des propriétaires du logement, ils n’ont pas les clés en main pour agir sur leur situation. Quant aux bailleurs, ils manquent cruellement d’informations sur les travaux à réaliser. Trouver des aides financières et des professionnels compétents étant les premiers obstacles d’une course à la rénovation dans laquelle peu d’entre eux se lancent.

Un décret décence mal défini

Vues ces contraintes importantes pour les propriétaires, que rien n’oblige par ailleurs à passer à l’action, l’horizon des locataires est aujourd’hui tout bonnement bloqué. Bien que le gouvernement et les différents décideurs – qu’ils soient de droite comme de gauche – aient fixé des objectifs en la matière (voir encadré ci-dessous), aucune réglementation n’incite les propriétaires « polluants » à réaliser des travaux. La Loi sur la transition énergétique (article 12) prévoit bien d’intégrer dans le décret de 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent un critère de « performance énergétique minimale à respecter », mais il n’a pas été mis en œuvre. En mars 2017, ce critère a finalement été vidé de sa substance lors de la publication du décret. Trop vague, il ne permet pas dans sa forme actuelle d’expliciter clairement aux bailleurs ou aux locataires à quoi correspond un niveau minimal de performance énergétique.

« Une exigence de performance énergétique claire et opposable nous paraît être la seule solution. »

Cette absence de qualification claire en droit d’un logement efficace freine la rénovation de l’habitat existant en France. C’est pourtant un enjeu crucial : pour l’environnement (le bâti demeure le premier poste d’émissions de CO2 dans notre pays), pour la santé des personnes vulnérables et mal logées et l’amélioration de leurs conditions de vie. Or, les propriétaires n’ont jamais fait aussi peu de travaux qu’en 2018, comme l’a dévoilé l’observatoire Clameur : « L’effort d’amélioration et d’entretien des logements (les relocations après travaux) a reculé en 2018, pour s’établir à 13,3 %, le plus bas niveau que Clameur a observé depuis 1998. » Face à l’augmentation constante du prix de l’énergie (sous-évalué en France depuis des décennies : mais c’est une autre histoire !), l’ensemble des Français doit pouvoir bénéficier d’un véritable droit à un logement à la facture énergétique abordable. Une exigence de performance énergétique claire et opposable – assortie de diverses mesures incitatives et contraignantes – nous paraît être la seule solution.

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Des exemples historiques

Cette interdiction de location des passoires énergétiques peut faire progresser le confort sans pour autant diminuer le nombre de logements mis en location. Souvent exprimée par les détracteurs d’une telle mesure, cette crainte n’est pas fondée. Plusieurs exemples montrent que l’augmentation des critères minimums de confort imposés par la loi n’ont pas empêché le marché locatif de se développer par le passé : en 1984 par exemple, 15 % des logements ne disposaient pas du confort sanitaire de base. En trente ans, ce taux a été réduit à moins de 1 % (selon l’Insee, en 2015, la quasi-totalité des logements métropolitains disposent désormais d’eau chaude, de WC intérieurs et d’une installation sanitaire). Cette évolution importante et pouvant parfois nécessiter des investissements significatifs pour faire des travaux n’a pas eu d’impact sur le marché locatif, et a permis à plusieurs millions de ménages de bénéficier d’une augmentation de leur confort de base. Plus récemment, la loi SRU a introduit la notion de décence pour les logements en 2002 en citant des critères explicites de confort minimum. Ainsi, le nombre de logements sans confort sanitaire est passé de 2,1 % en 2005 à 1 % en 2015, et le nombre de logements sans chauffage central ou électrique de 7,1 % à 4,6 %. Dans le même temps, le nombre de résidences principales dans le parc locatif privé a augmenté de 23,5 % entre 2001 (5,4 millions de logements) et 2017 (6,7 millions) (Tableaux de l’économie française, Insee, édition 2018).

Des risques maîtrisés

Par ailleurs, les chiffres nous disent qu’une très grande majorité des propriétaires bailleurs peut investir sans aide publique : dans un rapport de juillet 2018 mais jamais publié, émanant de deux grands corps d’Etat, l’Inspection générale des finances (IGF), et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), on peut lire que « plus des trois quarts des propriétaires bailleurs n’ont pas vraiment besoin d’être aidés ». Les bailleurs qui n’auraient pas les moyens d’investir ne représentent qu’une petite minorité : 7 % des passoires du parc locatif privé (218 000 logements) appartiennent à des bailleurs très modestes, et 6 % (197 000 logements) à des bailleurs modestes. Pour eux, l’Agence nationale de l’Habitat (Anah) propose déjà des aides aux travaux, qui pourraient être augmentées et simplifiées en cas d’obligation réelle de rénover.

« Intégrer réellement la performance énergétique dans les caractéristiques du logement décent, c’est tirer vers le haut l’ensemble du parc de logements. »

Deuxième crainte exprimée par les opposants à une telle mesure : l’augmentation à prévoir des loyers des logements ainsi rénovés. On peut s’interroger sur la dimension éthique de cet argument ! Peut-on se satisfaire de conditions de logement médiocres pour les ménages aux budgets les plus serrés, sous prétexte que les loyers y sont moins chers et donc l’offre plus accessible (ce qui n’est d’ailleurs pas toujours vrai dans le cas « des marchands de sommeil ») ? Intégrer réellement la performance énergétique dans les caractéristiques du logement décent, c’est tirer vers le haut l’ensemble du parc de logements, y compris les loyers les moins chers, et donc réduire les risques de voir les logements peu ou pas chauffés pour des raisons financières glisser vers l’insalubrité.

Par ailleurs, la rénovation performante des passoires énergétiques fera gagner plusieurs centaines voire milliers d’euros par an sur la facture énergétique des locataires. Dans de nombreux cas, l’effet net sur le budget des ménages sera donc positif. Encadrement des loyers, augmentation des aides au logement, effort de construction renforcé dans le parc HLM, augmentation du SMIC et des bas salaires… Divers mécanismes pourraient être actionnés par l’Etat pour limiter, compenser ou annuler le risque d’augmentation des loyers et de son poids dans le budget des ménages modestes. Les moyens d’agir existent, c’est désormais à nos dirigeants de réagir !

La rénovation : la France en retard sur ses objectifs

La loi sur la transition énergétique de 2015 énonce, dans son article 1, que « la politique énergétique [de la France] garantit la cohésion sociale et territoriale en assurant un droit d’accès de tous les ménages à l’énergie sans coût excessif au regard de leurs ressources ». Cette même loi, dans son article 5, prévoit que « avant 2025, tous les bâtiments privés résidentiels dont la consommation en énergie primaire est supérieure à 330 kilowattheures d’énergie primaire par mètre carré et par an doivent avoir fait l’objet d’une rénovation énergétique ». Elle énonce également que la France se fixe comme objectif de rénover énergétiquement 500 000 logements par an à compter de 2017, dont au moins la moitié est occupée par des ménages aux revenus modestes. Pourtant, nous sommes loin d’atteindre ces niveaux et le projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) soumis à la consultation par le gouvernement évoque désormais un « rythme de rénovation d’environ 300 000 rénovations complètes équivalentes en moyenne sur la période 2015-2030, soit un million de gestes », actant l’abandon de la rénovation performante et du volume d’économies d’énergies nécessaires pour respecter l’Accord de Paris et pour faire baisser durablement les factures.

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Contact

Danyel Dubreuil

Coordinateur de l’Initiative Rénovons

danyel.dubreuil@cler.org