Claude Turmes : « Chaque citoyen européen doit pouvoir produire sa propre énergie, la consommer et la partager »

Claude Turmes, eurodéputé écologiste luxembourgeois, est rapporteur du texte sur la gouvernance de l'énergie du prochain paquet de réglementations européennes relatives à l'énergie. Dans le livre « Transition énergétique : une chance pour l'Europe », il décrit la « révolution douce de l'énergie » qui est en train d'avoir lieu en Europe dans laquelle les citoyens et les collectivités locales ont leur rôle à jouer.

Selon vous, la transition énergétique est « une chance pour l’Europe ». Comment convaincre les citoyens de cette opportunité ?

Il y a plusieurs arguments importants à mettre en avant pour montrer les bienfaits de la transition énergétique. D’abord, il s’agit de répondre à un impératif environnemental : le climat mondial se réchauffe et risque de générer des destructions massives si nous ne faisons rien. Deuxièmement, cette transition nous permettra d’augmenter notre marche de manœuvre géopolitique car l’Europe est aujourd’hui affaiblie et dépendante de la Russie, et d’un Moyen-Orient en plein bourbier, pour obtenir du gaz et du pétrole. Troisièmement, la transition énergétique est la base de l’économie de demain ! Nous devons moderniser nos réseaux, nos maisons pour consommer moins, ou encore notre parc de production électrique vieillissant pour se débarrasser progressivement du nucléaire en France et du charbon en Allemagne.

Enfin, la transition énergétique, c’est plus de démocratisation : l’éolien, le solaire ou le biogaz réalisé par une petite coopérative dans un village, permet aux citoyens de se réapproprier un domaine qui était jusqu’alors dans la main de quelques oligopoles. Une bonne partie du succès économique de l’Allemagne ou du Danemark repose sur l’éolien et l’efficacité énergétique. Là-bas, une très grande majorité de ces projets d’énergie renouvelable sont portés par les citoyens. Une loi au Danemark oblige même tous les opérateurs à faire participer au niveau local, les citoyens et les collectivités, dans la construction d’un tel projet. Le populisme anti-éolien qu’on voit en France n’a pas de prise dans ces pays, car les gens sont concertés et se sentent concernés.

« C’est l’une de mes principales batailles : construire une alliance entre les villes, le niveau local et les parlementaires européens. »

Au cours des débats parlementaires sur le prochain paquet de réglementations relatives à l’énergie (winter package), cette place accordée aux acteurs locaux sera-t-elle « gravée dans le marbre » ?

La loi de transition énergétique votée en France en 2015 n’est pas parfaite, mais elle propose aux territoires de jouer un rôle. Quand on parle de rénovation ou de mobilité douce – vélo, voiture, fourgonnettes de livraison, tramways électriques – c’est évident que ces projets doivent être réalisés en lien avec les collectivités locales. Au niveau européen, nous essayons donc de soutenir ce principe qui est mentionné dans le « Paquet d’hiver » proposé par la Commission européenne. Mais c’est une chose d’en parler, ce qu’il faut, c’est accorder de nouveaux droits dans les législations européennes aux collectivités : le président de la Commission européenne, ­Jean-Claude Juncker, et le vice-président à l’énergie, Maroš Šefčovič, n’ont pas encore franchi ce pas. En tant que rapporteur d’une partie de cette législation, c’est l’une de mes principales batailles : construire une alliance entre les villes, le niveau local et les parlementaires européens pour obliger les Etats à engager la transition énergétique avec les collectivités locales. Il faut aussi créer le droit, pour chaque citoyen européen, de produire sa propre énergie, de la consommer, de la stocker, de la revendre et de la partager.

Quels sont les freins au niveau européen qui ralentissent cette « révolution douce » de l’énergie ?

Oui, aujourd’hui une « révolution douce de l’énergie » est possible car les citoyens ont accès à des technologies décentralisées, dont les coûts ne cessent de baisser, et peuvent mettre en place des projets de production d’énergie par eux-mêmes. Ils n’ont plus besoin d’attendre les grandes entreprises ou les dirigeants pour le faire à leur place. C’est une véritable démocratisation du système énergétique. Et cela va de pair avec les renouvelables qui se prêtent à cela : même si je rêvais d’avoir un réacteur nucléaire dans mon jardin, cela serait impossible de construire une si grosse unité par moi-même ! Tandis que le particulier ou la petite entreprise peut faire de l’éolien, du solaire, ou du biogaz à la campagne. Comme pour Internet, les nouvelles capacités technologiques ont changé le système et les rapports de force entre citoyens, collectivités et oligopoles.

Les grands groupes ont évidemment une peur bleue de cette démocratisation du système ! Ils se sont comportés ces dernières années comme des dominateurs du marché. EDF est censé être un service public… mais en vérité, l’entreprise craint ce changement de paradigme qu’elle n’a pas vu venir et ne change pas ses pratiques. A peine 15 % de l’activité d’EDF Energies renouvelables est réalisée en France : tout est fait pour conserver le vieux nucléaire malgré les risques sanitaires, environnementaux, que ce choix fait encourir. Pendant ce temps, au Danemark ou en Allemagne, la réappropriation locale de la production d’énergie permet à la richesse de rester au niveau local et participe au développement des territoires.

Publication

Cet article est extrait du CLER Infos n°114

Au cours des campagnes pour les élections présidentielles et législatives, la transition énergétique doit s’imposer dans le débat politique et être largement débattue : elle est une opportunité formidable pour répondre aux enjeux sociaux, économiques et démocratiques auxquels nous sommes, personnellement et collectivement, confrontés. Les nombreux témoignages à lire dans ce dossier du CLER Infos n°114 le confirment et montrent la voie à suivre.

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