Comprendre la Génération Climat

Ces dernières années les mouvements de jeunes pour le climat ont pris une ampleur inédite. Mais qui sont ces 18-30 ans ? Quels sont leurs modes d'action privilégiés et peuvent-ils vraiment contribuer à embarquer le reste de la société ? Le décryptage de Maxime Gaborit, doctorant en sciences politiques et membre du collectif de recherche en sciences sociales Quantité Critique.

Qui sont les jeunes de la génération climat ?

Maxime Gaborit : Avant tout je souhaiterais nuancer cette l’expression Génération climat. Je sais qu’elle a beaucoup été utilisée dans les médias à l’occasion des grèves des jeunes pour le climat initiées par Youth for Climate au début 2019, mais elle ne saurait en aucun cas s’appliquer à l’ensemble des 18-30 ans. En effet, au printemps 2021 notre collectif Quantité Critique a réalisé une enquête pour La Croix qui a débouché sur la définition de cinq grands groupes de jeunes : les éco-investis, les éco-modernistes, les soutiens distants de la protection de l’environnement, les indifférents et enfin les opposants à l’écologie. Et ces trois derniers groupes rassemblent 6 jeunes sur 10 ! Quant aux éco-investis, ceux qui justement sont prêts à aller défiler régulièrement ou à agir d’autres manières, ils ne sont que 18%. Dire que la mobilisation pour le climat est un phénomène générationnel est donc un raccourci. Pour autant je tiens tout de même à signaler que la conscience écologique progresse rapidement chez les plus jeunes. Ainsi, en 2017, seuls 4 jeunes sur 10 affirmaient que le sujet de l’environnement avait joué un rôle dans leur vote à l’élection présidentielle. Cette année ce score a progressé de 20 points. 

Les jeunes qui s’engagent pour faire avancer la cause environnementale ont- ils tout de même des caractéristiques communes ?

M.G. :  Oui, et elles sont même très marquées. Les sondages que nous avons mené pendant les grandes marches de 2019 nous ont montré que plus de la moitié des participants étaient fils et filles de cadres et de professions intellectuelles supérieures, c’est deux fois plus que le poids de cette classe sociale dans la société française toutes tranches d’âge confondues. C’est aussi un public nettement féminin : deux manifestants sur trois étaient alors des manifestantes, volontiers animées par des convictions associant lutte contre le patriarcat et lutte écologique. Par ailleurs, sur l’échiquier politique, la grande majorité des participants de ce mouvement se revendiquent à gauche, voire très à gauche.

Comparé à d’autres pays, quel a été le poids des grèves pour le climat en France ?

M.G. :  Au début, elles ont eu plus de mal à prendre dans l’Hexagone qu’ailleurs. Je pense que c’est en partie dû au fait que le mouvement climat est plus structuré chez nous que chez nos voisins, ce qui a un finalement laissé moins de place à l’expression des jeunes. De plus quand Youth for Climate a commencé à émerger en France, il arrivait quelques mois après une vague verte transgénérationnelle qui avait déferlé dans les rues dans le sillage de la démission de Nicolas Hulot et du cinquième rapport du GIEC. Par ailleurs le mouvement s’est rapidement politisé, ce qui a amené une partie des jeunes mobilisés à choisir d’autres voies que les grèves et en tout premier lieu celle de la désobéissance civile que promeut Extinction Rebellion, entre autres.

La crise du Covid a-t-elle eu un impact sur la mobilisation ?

M.G. : La crise sanitaire a donné un coup de frein massif au mouvement pour le climat, mais à vrai dire certains signes d’essoufflement étaient déjà perceptibles avant. C’est très difficile de mobiliser dans la durée. Une partie de ceux qui manifestaient ont eu l’impression que le fait que le sujet de l’urgence climatique occupe les débats était une victoire politique importante ; ils ont donc cessé de s’engager. Ceux pour qui cette reconnaissance du sujet n’était qu’une première étape sont encore dans la lutte.

La forme que prend cette lutte a-t-elle évolué post-crise ?

M.G. : Comme je l’ai évoqué, une partie des jeunes qui s’étaient impliqués en 2019 dans les grèves pour le climat se sont tournés vers des formes d’action directe volontairement plus spectaculaires et plus virales que les grands mouvements d’ensemble. Avec la volonté d’alerter les consciences, celles des dirigeants du pays d’abord, mais aussi des entreprises et des structures d’enseignement, sans oublier le grand public. Sur ce plan, les dernières semaines ont été assez riches en exemples. Je pense notamment au discours choc des étudiants d’AgroParisTech qui ont appelé leurs camarades à déserter les métiers de l’agro-industrie auxquels ils ont pourtant été formés pour ne pas contribuer à dégrader une situation écologiquement et sociologiquement désastreuse. C’est une initiative d’un genre nouveau, même s’il faut tout de même rappeler que tout le monde n’a pas le pouvoir de renoncer à un emploi… Je pense également aux affiches placardées dans le métro parisien par le collectif Pour un Réveil Écologique qui avaient pour but de rendre visibles et lisibles les conclusions peu réjouissantes du 6e rapport du GIEC. À côté de ces coups d’éclat, j’observe aussi un second mouvement qui s’oriente vers une relocalisation des luttes, avec l’idée que l’écologie doit s’ancrer dans le quotidien des territoires. C’est tout l’enjeu de la dynamique des Soulèvements de la Terre qui visent à orchestrer un réseau de résistances climatiques et paysannes face à l’artificialisation des terres et aux ravages agro-industriels.

Quels sont les freins à lever pour que la mobilisation prenne de l’ampleur au delà de la Génération climat ?

M.G. : Je crois que le principal défi réside dans l’articulation des revendications écologistes avec d’autres luttes (consommation locale, fiscalité juste, aménagement du territoire…) dans l’optique notamment d’ouvrir le champ de la mobilisation à d’autres catégories sociales et de la débarrasser de son image élitiste.  La marche conjointe « Génération Climat/Génération Adama, même combat » de juillet 2020 et la marche pour le futur organisée juste avant le premier tour des élections présidentielles sont des signaux positifs, de même que l’ouverture d’une première maison de l’écologie populaire à Bagnolet, portée par le collectif écologiste Alternatiba et le syndicat de parents de quartiers populaires Front de Mères.  Le mouvement de relocalisation des luttes va également dans ce sens en favorisant les connexions entre militants venus d’horizons très différents pour écrire ensemble une nouvelle grammaire de l’écologie engagée. 

« La conscience écologique progresse rapidement chez les plus jeunes »
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