Carbone incorporé : un enjeu européen
La révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments est l’occasion de prendre enfin en compte le carbone incorporé. Objectif : quantifier les émissions de gaz à effet de serre associées à la fabrication, au transport, à l'utilisation et à l'élimination des matériaux utilisés dans la construction, et privilégier les plus vertueux. Le point avec Federica Pozzi et Michael Neaves d’ECOS.
Pourquoi prendre en compte le carbone incorporé dans le bâtiment ?
Federica Pozzi : Le secteur du bâtiment est responsable de 36% des émissions de CO2 en Europe. Les matériaux de construction ont une empreinte carbone de 250 millions de tonnes et consomment la moitié des matières premières en Europe. La révision du CPR (« Construction products regulation ») et celle de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD) offrent l’occasion d’accélérer la décarbonation du secteur du bâtiment.
Michael Neaves : Initialement, le projet de révision de la directive EPBD ne se concentrait que sur la performance énergétique, avec des exigences qui ne concernaient que les émissions durant la phase d’exploitation des bâtiments. ECOS s’est mobilisé pour que soient prises en compte les émissions sur l’ensemble du cycle de vie. Si elles ne sont pas mesurées et limitées, nous ne pourrons atteindre les objectifs de zéro émission net en 2050. De fait, la proposition de révision de la directive fait désormais référence à l’ensemble du cycle de vie, ce qui est un vrai progrès.
Quelles mesures recommandez-vous ?
M.N. : La révision de la directive doit permettre de mener, d’ici 2030, une vague de rénovation énergétique dans le bâtiment. Celle-ci doit s’appuyer à la fois sur la performance énergétique et la prise en compte du cycle de vie des matériaux. L’Europe doit s’inspirer des initiatives du Danemark, des Pays-Bas, de la Suède ou de la France, dont la réglementation environnementale RE2020 considère déjà l’ensemble du cycle de vie des émissions du bâtiment pour définir des limites d’impact environnemental et des standards contraignants. Cela aura pour effet de réduire à la fois les émissions lors de phases opérationnelles mais aussi en amont, en favorisant des matériaux éco-conçus. La mesure du carbone incorporé va aussi démontrer que les rénovations offrent un meilleur bilan carbone que les constructions même performantes en matière de consommation énergétique.
F.P. : Actuellement sur 444 standards sur les produits de construction, seulement 12 sont à jour, conformes aux exigences réglementaires. Les standards sont des documents techniques qui ressemblent à des recettes de cuisine et ils peinent à intégrer la performance environnementale. C’est pourtant indispensable si nous voulons écarter les matériaux les plus carbonés au profit de ceux qui ont le moins d’impact sur le climat. Le CPR qui doit encadrer la performance environnementale des produits de construction doit commencer par exclure le ciment qui est le matériau le plus énergivore. Cette directive qui privilégie le recours à des produits durables permet d’éviter chaque année l’émission de 150 millions de tonnes de CO2. Enfin, il est impératif de disposer d’un calendrier précis, cohérent avec la feuille de route que s’est fixée l’Europe pour atteindre le zéro carbone net.
Quelles sont les prochaines étapes ?
F.P. : Les eurodeputés peuvent soumettre leurs amendements concernant la révision du CPR jusqu’au 6 décembre 2022, et le vote sur le projet final est prévu en mars 2023. Nous restons mobilisés pour que ce règlement sur les produits de construction réponde à nos attentes.
M.N. : Le CPR et la directive EPBD ne sont pas les seuls instruments législatifs mobilisés pour réduire les émissions dans le bâtiment. Nous avons évoqué la directive ESPR, mais la directive sur les déchets (Waste Framework Directive) dont la révision est prévue en 2023 représente un levier important. Elle doit permettre d’encourager l’économie circulaire, le recyclage et surtout le réemploi de matériaux, qui sont des manières efficaces de décarboner les secteurs de la construction et de la rénovation.